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ODRAZA (pl) - Esperalem Tkane (2014)






Label : Arachnophobia Records
Sortie du Scud : 15 avril 2014
Pays : Pologne
Genre : Post Black Metal
Type : Album
Playtime : 7 Titres - 46 Mins





Vous le savez, vous me connaissez, j'aime les trucs inclassables. Les albums qu'on ne peut ranger dans aucune catégorie sous peine d'être réducteur, et qu'on écoute sans penser à quoi que ce soit, l'esprit vierge et libre. Je suis comme ça, je n'y peux rien. Alors en ce moment, je suis assez gâté. Je me balade sur le net, je fouille ET je trouve des choses très pertinentes qui méritent d'être poussées vers la lumière, ce qui est encore le cas ce soir. Et je suis allé du côté de la Pologne cette fois pour trouver la perle rare.
Alors non, je vous le dis tout de suite, pas question. Je ne parlerai ni Death, ni Black, qui constituent plus ou moins la charnière musicale des pays de l'Est depuis les années 90. Et pas de Grind non plus. Je ne parlerai de rien de précis d'ailleurs, juste de contenu, de contenant, et de ressenti.

Ca vous va ?

Peu importe. Parlons peu mais parlons bien. De Pologne donc, nous viennent les barbares d' ODRAZA. Mettons les choses au clair tout de suite, avec un patronyme dont la traduction signifie "dégoût", vous pourrez commencer à entrevoir les tenants et aboutissants de l'entreprise. Avec à sa tête quelques cadors de la production locale (MASSEMORD, MEDICO PESTE), ODRAZA, bien qu'à peine au stade du premier album, est tout sauf un bal de débutants. Non seulement par leur pedigree, mais aussi par la maturité dont les musiciens font preuve sur cet impressionnant premier effort. Car loin de se cantonner à un style bien précis, ces derniers se permettent toutes les audaces, au point de transformer leur musique en film sonore qui captive, envoûte, et prend aux tripes du début à la fin.
Et pour en arriver à ce résultat, Priest (Batterie) et Stawrogin (tout le reste) se sont donné du mal, tout en nous laissant un sentiment de facilité déconcertante.
Il faut dire que dès le départ, les atouts étaient là. Avec un batteur phénoménal de la trempe d'un Hellhammer en plus créatif, et un guitariste/bassiste/chanteur à la voix énorme et charismatique, une grosse partie du travail était mâchée.
Mais loin de se contenter de leurs qualités naturelles, les deux compères ont su les transcender pour aller chercher dans des territoires étranges la substance de leur musique, qui devient de fait "libre" si vous voulez, et ne s'encombre pas de préceptes établis, de convenances et de schéma usuels. Sur Esperalem Tkane, on trouve en effet de tout. Du Black bien sur, mais par touches diffuses, et plus dans l'ambiance que dans les lignes créatives. Du Post Hardcore pour cette façon de laisser les couleurs harmoniques dissonantes parler, du Punk pour cette énergie débridée qui catapulte les morceaux dans une dimension haute en adrénaline, et en fin de compte, ce qui est le plus important au demeurant, quelque chose de nouveau, de profondément organique. C'est le bon mot, définitivement.
Et le duo aime à nous perdre sur des routes qu'ils modifient à loisir. Ils tracent ce qui semble être une ligne droite, à perte de vue, et tracent soudain une chicane, presque à 180 degrés, pour nous faire ralentir et comprendre qu'ils sont les seuls à mener la danse.

Ainsi, "Niech sie dzieje" ("Come what may") se décide pour une franchise Heavy, lourde, opaque, aux percussions puissantes et à l'écho persistant. Priest y fait d'ailleurs sans ambages démonstration de tout son talent en variant les vitesses et les impulsions, tandis que Stawrogin taillade des riffs poisseux et éructe ses incantations comme seul un David Vincent vieillissant saurait le faire. Alternant la marche sombre à la MARDUK et les soudaines accélérations frénétiques, c'est une mise en bouche en forme de mise en garde qui s'amuse à dissimuler la suite avec beaucoup d'intelligence. Puis "Wielki Mizogin" laisse parler la poudre sur une cavalcade qui s'effondre soudain dans des cris rauques brutalement soulignés par une batterie qui se veut volubile et fracassante.
Et puis soudain, le virage, imprévisible. Et un long virage qui nous oblige à revoir toute notre (fraîche) conception de l'album. En effet, le morceau éponyme n'est rien d'autre que dix minutes d'introspection dans la douleur durant lesquelles les deux partenaires osent tout, tous les arrangements, toutes les combinaisons, tentent l'intermède acoustique, la longue digression en forme de coda, la multiplication des imbrications, toutes en nuances différentes, le tout en accumulant un nombre remarquable de lignes de guitares aussi diverses que complémentaires. Sans conteste, et d'aussi bonne qualité soit l'intégralité de l'entreprise, "Esperalem Tkany" reste le haut fait de cet album, combinant tous les courants extrêmes existant avec un brio bluffant, en provoquant même parfois une collision contre nature entre des éléments Blackcore et des tricotages quasi Jazz Rock qui pourtant produisent un effet admirable. Et que dire une fois de plus de la fluidité du jeu de Priest qui sans jamais tomber dans la démonstration, réussit à combiner technique et inventivité à un niveau rarement atteint.

Et il nous faut bien le court intermède instrumental "Cicha 8" pour pouvoir affronter la suite et fin du disque, constitué de trois pièces de taille.
La première, c'est le multi couches "Gorycz" qui superpose des arpèges malsains et blafards avec une batterie qui n'a de cesse de rebondir, de surprendre, d'attaquer, comme pour se poser en contrepoint d'une guitare statique et sûre d'elle.
Le long "Prog" suit plus ou moins la même route, mais Stawrogin cette fois-ci laisse libre cours à son inspiration, et dédouble les parties, cherche une fois de plus la combinaison de notes qui provoquera un malaise chez l'auditeur, un peu à la manière de feu Euronymous sur le monstrueux De Mysteriis Dom Sathanas. A ceci près que le polonais, à contrario du norvégien ne délaisse pas la "vraie" mélodie en route, comme le prouve son superbe solo à mi morceau, qui laisse sa dernière note s'échapper dans une volute acoustique. Et puis soudain, après une première partie très rapide et névrosée, la machine prend une pause, et se délecte de quelques minutes délicates, qui mélangent une guitare douce et ample et des grondements rythmiques sourds en complète opposition. Encore une marque du génie du duo qui n'hésite pas à juxtaposer des lignes opposées qui devraient à la base se rejeter mutuellement, mais qui finalement se complètent à merveille.

Et cette interprétation personnelle de l'art de ODRAZA trouve son second parangon, si vous m'excusez cette construction hasardeuse, dans le très long final "Tam, Gdzie nas nie Spotkamy" qui reprend à son compte toutes les meilleures accroches et associations du LP. Je ne vous ferai pas l'injure de les reproduire une fois de plus ici, tant j'ai déjà été prolixe sur le sujet, mais disons que c'est un épilogue grandiloquent qui valide tout le travail accompli jusqu'à lors, en lui accordant même une plus value.

Avant d'écouter ce disque, faites le vide dans votre esprit, et concentrez vous sur sa pochette. Car elle est à l'image de la musique qu'elle cache, sombre, sale, inquiétante et abstraite, mais bizarrement belle et fascinante à la fois. Et difficile à décrire. Cette femme à la peau de pierre accroupie dans les mégots ne vous dira pas grand chose, mais elle vous laissera une impression dérangeante. Et pourtant, quelque part, vous l'aimerez. Parce qu'elle ne ressemble à personne d'autre, parce qu'elle est étrange, et parce que...



Ajouté :  Mercredi 20 Août 2014
Chroniqueur :  Mortne2001
Score :
Hits: 7332
  
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