Beaucoup d’entre vous connaissent nommément l’Apocalypse comme étant un feu d’artifice géant qui précipiterait le monde tel que nous le connaissons à sa perte, sous un déluge de vagues et de flammes. La réalité biblique démontre pourtant que ce ne sont que des visions et que ce type de textes sacrés est à prendre avec toute la hauteur qu’il nécessite. Si je vous raconte tout ça, c’est parce que KARNYSERA a fait de l’Apocalypse, ou plutôt des « sujets pré-apocalyptiques » le thème central de son deuxième album, A l’Aube d’Une Fin. Et comme souvent avec les disques dits « conceptuels », il faut s’en méfier tel la peste, soit parce que le groupe en question véhicule des idées reçues, soit parce que son délire est trop poussé et intimiste pour un auditeur lambda. Sur ce point précis, les Nordistes réaliseront un sans-faute, équilibrant parfaitement leur œuvre entre l’accessibilité et la cohérence. Musicalement, on trouvera surement à redire, car vous constaterez plus bas qu’au-delà d’une complexité structurelle honorable, A l’Aube d’Une Fin est surtout un disque construit, ficelé et qui assume ses choix.

Parmi ces choix, on trouve premièrement un découpage entre trois chapitres. Le malaise, résistance, la chute. Ça ressemble à s’y méprendre à une prophétie sur le destin de notre cher pays. Sauf qu’on est déjà en train de vivre le premier chapitre. KARNYSERA est donc plutôt du genre pessimiste, et ça se ressent pleinement en musique. Après une introduction très artificielle et aux sonorités mécaniques, on entre de plein pied dans l’aube de cette fin. Guitares menaçantes aux plaintes lancinantes, arrivée d’un motif mélodique enrobé dans la cohue de claviers atmosphériques, tout se décante assez vite à l’arrivée du chant trafiqué de Mickael, dont les paroles en bon français nous immergent immédiatement dans cet univers glauque et décadent. Aux premiers abords, la production fait grincer des dents. Horriblement machinale et inhumaine, elle fait claquer les patterns de batterie comme des coups de fouets cinglants. Au fur et à mesure que l’opus se déroule, on réalise que tout est savamment calculé pour un offrir un rendu le plus synthétique et robotique possible. KARNYSERA a fait un travail démentiel sur les arrangements et les programmations. A tel point que l’aspect purement Metal des guitares tranchantes de Julien passe au second plan, derrière les remontées électroniques acides qui jonchent cette marche en avant. Futuriste par endroits, industriel par d’autres, A l’Aube d’Une Fin n’en demeure pas moins solide dans les structures, totalement illuminé et impactant. On ne devine jamais à l’avance ce qui va se passer, on passe d’un coup d’un seul d’une composition aléatoire, groovy-extraterrestre comme « L’Insoumis » (dont les paroles manquent dans le booklet sans qu’on sache pourquoi) à un Metal lourd, très teuton avec des pointes de Thrash (« Martyrs »). Entre temps, « En Grève », avec ses faux-airs de Dubstep, aura utilisé un bout de la Marseillaise pour accabler encore un peu plus l’Etat français. KARNYSERA s’affiche donc comme un groupe qui s’intéresse également à la politique et en parle dans ses chansons. A ses risques et périls. L’angoisse est vraiment palpable au cœur du deuxième chapitre. Un parfum de poubelles brulées et de panique sociale s’en dégage, un peu à l’instar des ruines dépeintes au début du film Frontière(s). Et c’est finalement dans son ultime partie que bascule définitivement A l’Aube d’Une Fin vers une entité incontrôlable, une bête mécanique affamée au sang glacé. Eric Lécluse, qui signe le solo de guitare sur « In(e)solarium » apporte sa pierre à l’édifice d’une instrumentale sombre et épique. Au rayon des points noirs, cet album souffrira surement de sa longueur. Plus d’une heure, en enlevant en prime la piste bonus, c’est d’autant plus long que le caractère résolument artificiel, programmé et machinal de ce Dark Metal industriel ne lui offre pas de grandes possibilités de renouvellement. La voix, vocodée de long en large, pourra également s’avérer usante. Heureusement que les paroles en français maintiennent la concentration et portent l’attention sur d’autres détails.

Abouti, cette œuvre l’est, assurément ! L’ectoplasme KARNYSERA se traine comme une âme en peine, froide et transparente au cœur d’une scène Nordiste bouillonnante. Ça fait du bien parfois de se prendre une bonne douche écossaise sur le crâne. A l’Aube d’Une Fin fait partie de ces sorties qui remettent les idées en place, du haut d’une mélancolie et d’une colère aux limites du palpable. Relativement difficile d’accès, cet album plein de revendications a de bonnes raisons d’atterrir rapidement sur un des bureaux de l’Elysée. Si possible avec un morceau de doigt.