DEATHROW (de) - Deception Ignored (1988)
Label : Noise International
Sortie du Scud : 1988
Pays : Allemagne
Genre : Thrash (Trop ?) Intelligent
Type : Album
Playtime : 8 Titres - 47 Mins
S’il est un style musical qui a engendré plus d’albums cultes que Thierry Ardisson n’a faits de fautes de goût dans sa vie, c’est bien le Thrash. Enfant bâtard issu d’un ménage à trois contre nature entre le Punk, le Hard-Core et le Heavy-Metal, il a généré quantité d’œuvres introuvables, improbables, inexorables ou encore intraitables. L’Europe et les USA se partagent le bilan, mais force est d’admettre que l’Allemagne à en fin de course probablement franchi la ligne avec une demie tête d’avance. Qu’il s’agisse de l’infâme In The Sign Of Evil de SODOM, ou The New Machine Of Liechtenstein d’HOLY MOSES, en passant par Protected From Reality de LIVING DEATH, au pays de la Rürh, on savait fabriquer des casse-tête inclassables, qui sont devenus autant d’objets de vénération de la part de quelques fondus du mystère dont je fais partie.
Et lorsqu’on aborde la question de DEATHROW, le sujet devient épineux.
Après avoir commencé leur carrière avec un album classique, mais terriblement insipide, Riders Of Doom, ils revinrent dans l’arène avec l’excellent Raging Steel, proposant un Thrash violent, teinté de lyrics guerriers, un passage obligé en quelque sorte, mais déjà, certains indices nous mettaient sur la voie de l’interrogation, et une poignée de compos rudes achevaient de nous convaincre de leur potentiel (« Pledge To Die », « Scattered By The Wind »).
Cependant, rien n’allait nous préparer à affronter leur troisième discours. Un peu roublard dans la manière, à contrario de la bande à Sabina et leur cul entre deux chaises, hésitant entre Techno-T pur et Speed condensé, Milo et ses comparses plongent directement dans le grand bain du riff alambiqué, du rythme épuisant, et du chant plaintif et goguenard.
Dès l’intro et «Events In Concealment », le ton est donné, Deception Ignored sera complexe ou ne sera pas. Les triolets le disputent aux harmonies tourbillonnantes, les patterns de batteries se succèdent de mesures impaires en roulements expérimentaux, et le chant navigue entre le vindicatif et le faussement séduisant. On ne sait sur quel pied danser, et les repères tombent. Exit le franc du collier, bonjour les regards fuyants. Le solo, même s’il sait se parer d’atours classiques n’en reste pas moins adapté à l’environnement. « The Deathwish » débute comme un hommage à MEKONG DELTA, avant de partir s’échouer sur les rives d’un WATCHTOWER fuyant, avec toujours ce mélange homogène de tempi bancals et de lignes de chant constructives. La première vraie surprise est l’instrumental « Triocton » et son accueil de nappes de piano délicates trop doucereuses pour être honnêtes. Les 8 minutes de la pièce en question payent leur tribut à la créativité, et doivent autant au fabuleux « The Ultra Violence » de DEATH ANGEL qu’à « Toccata » des MEKONG. Un vrai bordel organisé, dont on se demande s’il n’a pas été placé si tôt sur l’album pour perdre définitivement l’auditeur dans les méandres d’un labyrinthe savamment dessiné (Après tout, quasiment tous les autres groupes proposant le même genre de titres attendaient toujours la seconde face pour le faire). « N.L.Y.H. » casse la dynamique volontairement, avec ses faux airs d’hymne à la vitesse et son solo purement jouissif. On retrouve ici trace du passé du groupe, mais une fois de plus transfiguré pour coller à une nouvelle identité. Le plus court du lot, mais finalement peut être le plus significatif avec son accumulation de plans dans un minimum de temps. Les débats musicalement éthyliques reprennent sur le sautillant « Watching The World », titre gigogne où Milo prend le pouvoir avec son chant crispant, constamment à la limite de la justesse et de la cassure. Et la deuxième cassure est illustrée à merveille par les 9 minutes époustouflantes de « Narcotic » où tout le potentiel renouvelé du groupe est passé en revue. Sorte de climat ultime d’un opéra à la gloire du non-respect des codes et us de l’époque, le groupe lâche la bride, et nous entraîne dans une farandole débridée qui nous emmènera jusqu’au bout de la nuit. Toute structure logique est rejetée pour permettre aux musiciens d’accumuler les pièges de compositions, et achever de peindre un puzzle de couloirs sans fin, constellé de portes s’ouvrant sur d’autres portes, menant toutes au couloir d’origine. Autant d’idées sont condensées dans ce titre que dans toute la discographie de TANKARD, et les 7 minutes de « Machinery » ne terniront pas ce constat. De délicieux arpèges vous séduisent, avant que la presse de l’usine du cauchemar ne se remette en route. La vague impression de revenir sur ses pas sans pour autant tourner en rond évoque LYNCH bien sur, et les visages de la pochette prennent alors toute leur dimension. Doit on pour autant en déduire que ces faciès aux rictus sardoniques nous mènent en bateau depuis le début ? Oui et non, puisque le libre arbitre nous a permis de choisir nous même la façon dont nous souhaitions être traités. Et les regards vides s’apparentent tout à coup à ceux d’acheteurs potentiels égarés sur le chemin de l’incompréhension.
« Bureaucrazy » n’a plus qu’à aveugler les derniers pèlerins encore valides, en brisant leur branche de soutien.
En 1988, Deception Ignored avait scindé le camp des critiques et du public en deux. Les adulateurs et les détracteurs farouches. Les uns n’y voyaient qu’une tentative pathétique de s’accrocher aux wagons du train Techno, les autres l’œuvre magistrale d’un groupe refusant la facilité. Il est vrai que la froideur clinique que dégage cet album peut rebuter le plus grand dénominateur commun. Et pourtant, il regorge d’humanité, et j’irai même plus loin en affirmant qu’il est à l’image de la vie elle-même. Complexe et angoissante. Désespérante et oppressante. Quand on ne fait pas partie de l’élite dirigeante, quelque soit le moyen. Regardez bien cette pochette magnifique. Ne vous reconnaissez vous pas un peu dans ces personnages qui semblent aveuglés par leur propre condition ?
Trop d’avance sur son temps peut-être. A l’instar de pièces maîtresses comme Dimension Hatröss, RIP, The Music Of Eric Zann ou bien encore Control And Resistance. Des chefs-d’œuvre ignorés ou conspués à l’époque, et analysés, décortiqués de nos jours.
N’est ce pas là le propre des magnus opus ?
Pour essayer de comprendre tout ça, veuillez je vous prie revenir à la première ligne.
Ajouté : Lundi 07 Juillet 2008 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Hits: 10303
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