ROYAL HUNT (dk) - André Andersen (Fév-2018)
André Andersen a deux amours : ROYAL HUNT et le whisky. Si le groupe connaît depuis 1991 une carrière quasiment exemplaire, riche de 14 albums studio, une demi-douzaine de live et autant d'EP's et de compilations, c'est essentiellement grâce à ce personnage haut en couleurs et droit dans ses bottes, à la fois ancré dans une conception idéalisée du passé, et tournée vers une modernité qu'il arrange à sa manière. Comme son nouvel album, Cast in Stone...
Line-up : André Andersen (fondateur et claviers), Jonas Larsen (guitare), Andreas HABO Johansson (batterie), Andreas Passmark (basse), D. C. Cooper (chant)
Discographie : Land of Broken Hearts (1992), Clown in the Mirror (1993), Moving Target (1995), Live (1996), Paradox (1997), Closing the Chapter (Live) (1998), Fear (1999), The Mission (2001), The Watchers (2002), Eyewitness (2003), Paper Blood (2005), Live 2006 (2006), Collision Course - Paradox pt II (2008), X (2010), Show Me How To Live (2011), A Life to Die For (2013), Devil's Dozen (2015), Cast in Stone (2018)
Metal-Impact. Votre dernier album Devil's Dozen date de 2015, ça a bien bougé pour vous depuis !
André Andersen. Oui, après Devil's Dozen on a joué dans quelques festivals, dont Loud Park et surtout le Prog Power aux Etats-Unis, qui a été enregistré. Donc en rentrant on s'est occupé de ce double-album live, Cargo. Puis on est repartis en tournée sur une trentaine de dates et on a pu shooter un DVD dans une belle salle à Moscou, pour honorer la tradition de ROYAL HUNT de sortir un DVD live tous les dix ans ("1996", "2006" et donc "2016"). J'avais un peu oublié cette manie des années en "6" mais les gars me l'ont vite rappelée ! [Rires] ... Donc on a été assez occupés pendant cette période, ce qui est plutôt bon signe généralement.
MI. Vous avez ensuite commencé à composer pour Cast in Stone. Comment ça se passe avec DC au bout du monde ?
André. En gros, j'écris des lignes vocales, j'utilise un chanteur de session pour les enregistrer et servir de maquette, on enregistre sommairement la base instrumentale des morceaux et j'envoie tout cela à DC. On se met d'accord sur le son qu'on veut sur le morceau, les micros, les détails, il fait une ou deux prises et puis on en parle sur Skype, on modifie, et on avance comme ça. Parfois, il le fait en direct donc c'est comme si on était dans le même studio.
MI. C'est l'idéal pour toi de bosser de cette manière ?
André. C'est juste une façon pratique de procéder. Pourquoi changer une formule qui marche ? Avec Skype, on peut travailler plutôt bien, on se fait des sessions régulièrement où on partage nos idées. Bien sûr ce n'est pas pareil que d'être tous dans un même studio. Mais aujourd'hui tu dois jouer avec les budgets, les plannings des uns et des autres... donc c'est la meilleure solution.
Bien sûr je suis un mec plutôt old-school, donc c'était plus naturel pour moi de travailler à l'ancienne. Mais on évolue avec le temps, et les impératifs du marché de la musique t'imposent de travailler différemment. J'étais un peu perdu au début mais je m'y suis fait.
MI. Pour autant, tu n'es pas passé au tout numérique, rassure-moi !
André. Surtout pas ! Ce qui est bien pour un mec un peu "à l'ancienne" comme moi, c'est que mon studio est pratiquement 95 pourcent équipé en matériel analogique. Donc, je peux utiliser les mêmes outils qu'avant, en plus des quelques ordinateurs. On peut être un peu nostalgique de cette époque où on se retrouvait tous au même endroit, mais on ne peut pas y faire grand-chose, le temps passe et on s'adapte !
MI. Mais tu as travaillé avec des chanteurs américains auparavant, ça se passait comment ?
André. John West et Mark Boals venaient dans mon studio. On n'a commencé à travailler de cette manière que lorsque DC est revenu, en 2011. On a essayé pour voir si ça fonctionnait et ça a bien marché donc on a continué. On envisage de tous se retrouver ici de temps en temps mais avec nos projets annexes, les boulots de chacun, c'est difficile. Pour enregistrer un album, ça prend bien deux semaines. Et trouver deux semaines dans nos emplois du temps aujourd'hui c'est pratiquement impossible. On fait juste de notre mieux.
Je vais quand-même aux Etats-Unis de temps en temps. Pour Habo (Johannsson - batterie) et Andreas (Passmark - basse) qui sont en Suède, ce n'est pas un problème, ils étaient encore là la semaine dernière. Bien sûr ce n'est du tout pareil qu'avec Jonas (Larsen – guitare) parce qu'il habite à 5 kilomètres d'ici donc on se voit très souvent. Mais on se voit quand-même régulièrement, on se fait des barbecues, on s'amuse bien. Je vois aussi tous les anciens membres donc ça me fait quand-même une vie sociale active ! [Rires]
MI. Cast in Stone est dans la droite lignée des 3 précédents albums, on ne sent pas une grosse prise de risques. C'est voulu ?
André. Sur chaque album, on essaie quelque chose de nouveau. Ce n'est peut-être pas toujours évident pour celui qui écoute, mais on essaie. On essaie de nouveaux matériels, de nouveaux arrangements, on change certains éléments. Mais bien sûr, on reste sur les mêmes bases : le son qu'on a créé et que les gens aiment. Bien sûr on pourrait en débattre, la presse, les fans se demandent pourquoi on n'essaierait pas quelque chose de complètement nouveau. Bien sûr qu'on pourrait faire du AC/DC ! Quand j'achète un disque d'AC/DC, je veux qu'ils sonnent comme du AC/DC, pas comme les PINK FLOYD. C'est pareil avec ROYAL HUNT. On a fait des albums plus ou moins expérimentaux dans le passé, un peu éloigné de notre style habituel. Les réactions ont été immédiates : "ça ne ressemble pas au ROYAL HUNT que je connais". Il faut savoir ce qu'on veut.
MI. Tu penses à un album en particulier ?
André. Par exemple, "Eye Witness" que je trouve très bon, a été décrié par les fans purs et durs. Cela ne ressemblait pas à du ROYAL HUNT typique, et ils avaient raison ! C'était plus Hard, plus direct, moins facile à écouter mais c'était l'objectif. C'était un album aussi très engagé quand on écoute les paroles. J'ai tenté quelque chose de nouveau, les membres du groupe ont joué le jeu mais les fans veulent qu'on leur donne de la nouveauté, mais à la condition qu'ils la connaissent déjà ! [Rires] ROYAL HUNT a son univers et son style, ce serait tragique d'ailleurs après 25 ans que ça ne soit pas le cas !
MI. C'est quoi le style ROYAL HUNT ?
André. On a établi un style assez unique, on ne ressemble pas à beaucoup d'autres groupes. Au début ce n'était pas facile parce que la presse a eu du mal à nous cataloguer, à décider quel genre de musique on jouait. Un peu de AOR, un peu de Classic Rock, un peu de Prog, un peu de Néo-classique... donc c'était compliqué pour nous de trouver notre créneau. Mais avec le temps c'est devenu un avantage, on nous reconnaît immédiatement. Quand j'écoute QUEEN j'aime que ça ressemble à du QUEEN et pas à du LIMP BIZKIT.
MI. Y a-t-il des morceaux sur Cast in Stone qui seraient parfaitement représentatifs du ROYAL HUNT de 2018 selon toi ?
André. C'est dur d'en choisir un. On essaie de rassembler les divers éléments qui pour nous sont essentiels à cet album. Tout l'album est révélateur de ce qu'est le groupe aujourd'hui. Par exemple "Last One in Line" est davantage dans la veine Classic Rock avec l'orgue Hammond, les riffs familiers, et puis "A Million Ways to Die" qui selon les gens va plus se rapprocher du son typique de ROYAL HUNT. Moi je n'en sais rien ! C'est quoi le style de ROYAL HUNT ? On a fait "Wicked Lounge", "Flight", "Follow Me", aucun ne se ressemble, lequel peut définir notre style ? Je pense que c'est plus une atmosphère plus globale, qui est spécifique du moment.
MI. Justement dernièrement, on entend beaucoup plus Jonas (guitare) et un peu moins André (claviers)...
André. Possible. Ce n'est pas calculé, ni explicable. Ce n'est pas conscient, c'est une question de feeling. Tu sens qu'à ce moment précis tu aimerais avoir un solo de guitare, ou un solo de clavier, ou pas de solo du tout. Tu fais ça à l'instinct. Jonas a pris plus d'espace récemment, peut-être parce qu'il est dans le groupe depuis un moment maintenant, je connais son style... je ne sais pas trop, on n'a pas décidé en amont qu'il y aurait plus de solos, ou de guitare à tel ou tel endroit. C'est pareil quand on a enregistré Paper Blood. Les gens se sont demandé pourquoi il y avait autant d'instrumentales, mais il n'y avait pas de réponse ! A ce moment précis, c'était ce qu'on avait envie de faire, on sentait que ça passerait bien sur ce disque et donc on l'a fait.
Sur cet album j'ai quelques solos, ça me suffit. Si tu prends le répertoire complet de ROYAL HUNT, j'y joue plus de solos que n'importe quel claviériste ! [Rires] Il y en a partout ! Ce n'est pas comme si je manquais d'attention, ne t'inquiète pas. Peut-être que dans le prochain album il y en aura deux fois plus ! Mais tu vois, quand j'écoute certains albums d'il y a 8-10 ans, j'ai parfois la sensation qu'il y en a trop. C'est très variable d'un album à l'autre. Cela dépend de l'humeur, de la perception.
MI. Pourquoi avoir réenregistré "Save Me" ?
André. En réalité, ce n'était pas mon idée. J'avais prévu autre chose. C'est un morceau qui avait été un peu oublié sur un best of (20th Anniversary), et que les gars - et DC en particulier - aimaient beaucoup. Même au moment où on a enregistré l'originale, ils avaient trouvé dommage qu'on ne le mette pas davantage en valeur que comme une face B. Ils m'ont donc demandé si on pouvait le réenregistrer pour Cast in Stone. On s'est donc plus rapproché du morceau tel qu'il avait été écrit à la base, avec l'intro, la partie instrumentale, ce qu'on n'avait pas pu faire à l'époque parce qu'on n'en avait pas eu le temps. Personnellement je trouve qu'il est mieux fini dans cette version, clairement.
MI. Un peu comme "Restless" à l'époque donc...
André. C'est la même histoire ! On venait de finir d'enregistrer Moving Target (1995), tout était prêt, mais les garçons n'aimaient pas ce morceau. Je me souviens qu'on était assis dans le studio, DC venait de terminer d'enregistrer sa partie et ils faisaient la gueule, personne n'aimait "Restless". Ils avaient certainement leurs raisons ! Donc comme je ne veux pas imposer un titre que le groupe n'aime pas, j'ai accepté d'en mettre un autre sur l'album. C'est comme ça qu'on a ajouté "Stay Down" à la place. J'en avais déjà enregistré une démo. On a pris quelques jours pour la retravailler et l'allonger un peu et c'est ce titre qui a fini sur Moving Target au final. Et puis quelques temps plus tard, on nous a demandé un bonus track pour 1996 et on a donc repris "Restless", remplacé toutes les guitares électriques par des guitares acoustiques et elle est sortie comme ça.
MI. Tu en as d'autres des compos qui traînent comme ça ?
André. J'ai une centaine de morceaux qui attendent dans des cartons quelque part... sur des cassettes, des CD, des disques durs... y en a un peu partout. Des idées qui ont été retoquées, que le groupe a recalées pour différentes raisons. C'est assez rare que le groupe n'aime pas une compo, la plupart du temps c'est parce que ça ne correspond pas au style de l'album, que ça tranche avec les autres titres. C'est parfois des morceaux que je n'arrive pas à finir, j'ai un bon refrain ou un bon passage instrumental mais je n'ai pas assez pour boucler le titre. Quand c'est comme ça je le remise dans un coin et en commence un nouveau. 90 pourcent sont simplement des idées plus ou moins présentables, avec simplement une partie de guitare, une mélodie de piano. Peu de morceaux sont vraiment terminés.
MI. Tu t'en es déjà servi pour remplir un album ?
André. Non, je n'ai jamais vraiment réutilisé ces idées, bizarrement. C'est juste plus excitant de commencer quelque chose de nouveau, plutôt que de parcourir les choses que j'ai pu composer sans les finir. Ce serait un peu de la paresse. La seule chose que j'ai pu faire c'est déterrer un vieux morceau écrit en 1989 ou 1990 pour Land of Broken Hearts, que j'ai trouvé super, et le retravailler pour qu'il soit en bonus sur la réédition vinyle de cet album. Je l'ai retrouvé sur une cassette, quand Henrik m'a demandé si on n'avait pas quelque chose qui restait de cette époque. Je suis d'ailleurs tombé sur tout un tas de choses intéressantes, j'en ris encore aujourd'hui... Mais tu sais, "Epilogue" qui est devenu un de nos classiques, a été recalé de la tracklist de Land of Broken Hearts (1992), parce qu'on avait déjà une balade sur cet album ("Age Gone Wild") et qu'on ne voulait pas les empiler sur le même cd. Elle a donc fini sur Clown in the Mirror (1994). Il y a même des titres qu'on jouait live avant Land of Broken Hearts et qu'on n'a jamais enregistré !
MI. N'oublie pas "It's Over" que tu as recyclé du 45 tours "Outlaw" (avec APART) !
André. Oui on a réutilisé "It's Over" sur Paradox (1997) évidemment, même si ce n'est pas du tout la même version que tu retrouves sur l'album. Je ne me souviens pas très bien de "Outlaw" par contre, j'ai peut-être la mémoire qui flanche, mais je ne me souviens pas très bien de l'autre face du disque...
Cela pourrait être sympa d'enregistrer certains de ces vieux morceaux aujourd'hui, c'est quelque chose auquel je vais certainement réfléchir. Pas sous le nom de ROYAL HUNT, parce que ce sont des idées plutôt naïves, qui ne collent pas avec ce que le groupe fait aujourd'hui. Il faut les rebosser sérieusement. Cela peut être un side-project très sympa pour plus tard, je m'y pencherai certainement cet été quand ça se sera un peu calmé avec "Cast in Stone".
MI. Encore une fois sur Cast in Stone, le chant de DC est très sobre. Depuis quelques années, on n'a plus trop de "screams" et de ce chant épique qui l'a fait connaître et aimer des fans. Cela te dérange qu'il ne chante plus comme avant ?
André. En fait c'est tout le contraire ! Je suis certainement un des seuls à être absolument ravi qu'il ne chante plus comme avant. Parfois, dans le passé, quand il chantait comme ça, qu'il montait systématiquement dans les aigus, ça ne me plaisait pas trop. C'était sans arrêt un sujet de désaccord parce que j'essayais de le retenir, de lui faire comprendre que c'était "too much", que c'était trop tôt... Donc je pense que c'est mieux depuis qu'il a cette voix plus mature, plus grave. Il le fait quand-même de temps en temps, parce que ça fait partie de son style mais c'est très bien comme ça. Je suis à l'opposé de tout le monde sur ce sujet ! [Rires]
MI. Il avait quand-même un style de voix extraordinaire...
André. C'est toujours une voix unique, je n'ai jamais entendu personne chanter comme lui. Il n'est pas meilleur, ni moins bon, il est juste différent des autres. Il est parfaitement reconnaissable et c'est génial pour nous. Mais je pense qu'il est au top quand il garde ses envolées vocales pour des moments où elles sont vraiment nécessaires. Je ne sais pas si DC serait d'accord avec moi, probablement pas. Mais je le préfère comme ça.
En concert, il se retient un peu, il est moins ambitieux dans sa manière de chanter. Il faut prendre ça en compte aussi. Parce qu'on ne fait pas qu'un seul concert, on en fait plusieurs d'affilée, et on n'est pas METALLICA, on ne réside pas dans des hôtels 5 étoiles, on vit dans un tour bus donc c'est beaucoup plus délicat de prendre soin de soi et de ménager sa voix dans ces conditions. On se lève souvent très tôt, 4h du matin pour aller à tel aéroport, on voyage beaucoup, le froid, le décalage horaire... c'est éprouvant. Donc il s'économise un peu. Et on ne veut pas arriver au point de devoir annuler une date parce que DC aura bousillé sa voix la veille sur scène.
MI. Vous vous entendez mieux tous les deux, que lors de son premier passage dans le groupe (1995-1998) ?
André. Il a beaucoup évolué, on s'entend beaucoup mieux. On sera toujours très différents l'un de l'autre. On aura toujours des opinions opposées sur beaucoup de choses. Quand en 2010 on a repris contact pour faire ce "best-of tour" à l'initiative de promoteurs, on n'imaginait pas qu'il redevienne le chanteur de ROYAL HUNT. C'était ponctuel, pour faire plaisir aux fans. On n'avait pas pu tourner après la sortie de X donc on a mis ça en place. Et pendant les répétitions, en traînant un peu ensemble, etc. on s'est plutôt bien entendus. Ce n'était pas un autre DC, mais on a appris entre temps à mettre de l'eau dans notre vin et à faire des concessions sur ces choses qui nous opposaient. Et au final on s'est dit "autant faire un album et voir comment ça se passe" ! On n'avait rien de vraiment prévu, c'était un peu au jour le jour.
MI. Qu'est-ce qui vous oppose en réalité ?
André. Je ne saurais pas expliquer pourquoi on s'entend sur certains sujets et pas du tout sur d'autres. Je ne pense pas que ce soit culturel, c'est juste nos personnalités. On a des opinions très arrêtées et ça nous oppose parfois. En fait, la musique est un des aspects sur lesquels on s'entend le mieux (ou se dispute le moins, c'est selon), depuis toujours ! [Rires] ... Mais aujourd'hui, je suis heureux de le voir. Et on passe aussi de bons moments justement parce qu'on est différents, et qu'on s'emballe et qu'on s'engueule. La sagesse sûrement. Et le temps qui passe.
MI. Et côté choeurs, c'est encore très abouti sur Cast in Stone. Toujours la même équipe ?
André. Oui, Kenny (Lübcke) et Alexandra (Popova) font de nouveau les choeurs sur cet album. Il y a toujours au moins deux choristes. Parfois j'y ajoute une voix plus grave, mais rien de trop marqué parce qu'ils font tellement un bon boulot. C'est le meilleur duo que j'ai eu depuis longtemps, je leur fais totalement confiance. Je connais Kenny depuis très longtemps, il s'adapte totalement à son partenaire, il a un timbre et un vibrato particulier. Il fait ça super bien, je me repose complètement sur lui. Et il est tout à fait compatible avec Alexandra. Et ils sont super contents de bosser ensemble, ils se comprennent très bien. Kenny me dit "enfin je peux me lâcher complètement". Ils se complètent et apporte chacun leur couleur aux choeurs. C'est un couple très heureux ! [Rires]
MI. C'est une composante très importante pour le son du groupe... Même en live, tu te souviens de la dream team que tu as emmenée en tournée en 2000 ?
André. Oui, je me souviens être allé au Japon avec deux choristes, Kenny et Henrick (Brockmann), c'était génial ! Et contrairement aux filles, ils comprenaient toutes nos blagues [Rires] ... Non, c'est super quand on peut faire ça. Mais aujourd'hui c'est impossible de partir en tournée avec autant de musiciens, les promoteurs te défoncent sinon ! Donc on doit faire des compromis.
MI. A propos de compromis, malgré tes réticences, tu as enfin pris la mesure du changement impulsé par Internet ! Le groupe y est maintenant très présent.
André. Quand internet est arrivé, ça a tout changé sur le marché de la musique, drastiquement et rapidement. J'avais fait le choix à l'époque d'ignorer ces nouvelles tendances, je ne m'y intéressais pas. Mais si tu veux toucher un certain public, tu dois accepter ces changements et jouer le jeu. Tu peux aussi être têtu et la jouer à l'ancienne, ça peut marcher aussi mais à un moment tu dois choisir. J'ai choisi de suivre le mouvement, donc j'ai contacté des gens qui savent comment tout cela fonctionne, parce que moi je n'y connais rien, et ce n'est pas près de s'arranger. Donc on a engagé des spécialistes qui connaissent leur sujet, ils me demandent les choses dont ils ont besoin, je leur fournis. Ils ont parfois de bonnes idées, parfois de mauvaises, mais comme moi, comme tout le monde.
MI. Je sais que tu es très nostalgique d'une époque où on abordait la musique différemment...
André. Je n'aurais jamais imaginé à mon époque pouvoir envoyer un tweet à mes idoles, à Rick Wakeman, à David Coverdale ou Ian Gillian. Il fallait attendre la sortie d'un magazine, deux ou trois mois, pour lire une interview. Aujourd'hui, tout est immédiat ! Tu appuies sur un bouton et hop ! Tu obtiens ce que tu veux. D'un côté c'est super parce que si tu as quelque chose à dire ou à offrir, tu peux atteindre des milliers de personne en un clin d'oeil ! Mais d'un autre ça gâche tout : tu as remarqué ? C'est dur de s'enthousiasmer à fond pour quelque chose, il y a trop de tout, et tout est devenu trop facile. Quand j'allais en ville acheter un album - je pouvais peut-être m'en payer un ou deux - je devais prendre le bus, après je passais deux heures dans la boutique à parcourir tous les rayons, tous les vinyles, c'était une expérience extraordinaire ! Sur le chemin du retour tu regardais le disque, la pochette, tu lisais les paroles, tu regardais les "credits", et tu avais trop hâte d'arriver pour enfin pouvoir l'écouter. C'était une époque géniale.
Aujourd'hui tu n'attends plus pour rien. Que ce soit légal ou non, tu cliques sur un bouton et tu as tout ce que tu souhaites dans la seconde, la musique, l'interview de l'artiste... La musique a perdu de son charme et de sa valeur. Tu peux faire une analogie... avec les diamants par exemple. Pourquoi sont-ils si chers ? Parce qu'ils sont rares. Mais en même temps ce ne sont que de simples pierres. Si on en trouvait partout, ça ne coûterait rien ! Mais il y en a peu alors elles ont beaucoup de valeur. Ce n'est peut-être pas la meilleure comparaison mais pour moi, c'est la même chose. Les gens se privent de l'exaltation et l'excitation de devoir attendre. Je me souviens à l'époque, disons que tu achètes un album et que sur tout le disque, il y a deux morceaux que tu n'aimes pas, pour quelque raison que ce soit. Tu ne les aimes pas. Et bah je te garantis que comme tu as acheté cet album, comme tu l'as mérité, tu vas tellement l'écouter qu'à la fin tu finiras par les aimer ces deux titres ! [Rires] ... Et ça faisait partie du jeu, c'était drôle. Enfin c'est mon point de vue.
MI. Mais a-t-on vraiment le choix ?
André. C'est le seul moyen de durer ! Tu ne peux pas être un groupe aujourd'hui et ne pas être actif sur les réseaux sociaux ! Il n'y a plus MTV, NH1... les radios n'ont plus la même influence puisqu'il y en a des centaines, sur le web et ailleurs. Tu n'as plus besoin de magazines ou de critiques musicaux puisque tout le monde peut être critique et poster son avis sur son blog. Donc ou bien tu acceptes et tu joues le jeu ou alors tu lâches l'affaire. Et pour moi c'était un peu trop tôt pour lâcher.
MI. Dans la même veine, vous avez lancé Cargo et Devil's Dozen via la plate-forme Pledge Music. Cast in Stone également mais directement sur votre site, sans intermédiaire. Le crowdfunding, c'est l'avenir ?
André. C'est quelque chose qui m'a été présenté par l'équipe, je ne connais pas tous les tenants et les aboutissants, mais j'ai accepté même si au début j'ai été très surpris. Je ne comprenais pas à quoi ça pouvait servir. Puis j'ai vu que MARILLION le faisait, MEGADETH, tout le monde s'y mettait. Donc je me suis dit "pourquoi pas ?". On m'a expliqué le système, ça m'a paru bizarre, mais c'est une expérience assez personnalisée pour le fan. On supprime les intermédiaires, mais pas uniquement au niveau financier, il n'y a plus de distance entre le groupe et les fans, comme lorsqu'on se rencontre à la fin des concerts. On discute et on signe leurs cd, c'est sympa. Toutes ces updates, ça permet de communiquer directement avec les gens, sans journaliste, ou label, management au milieu. J'y vois pas mal de points positifs.
MI. Et niveau sous, c'est intéressant pour vous ?
André. C'est plus ou moins pareil que par le circuit traditionnel. Peut-être un peu mieux, je te mentirais si je disais le contraire. Mais il n'y a pas d'énorme différence en terme de revenus, on ne passe pas du simple au double... Les ventes chutent depuis un moment et elles vont continuer à baisser, il n'y a rien à y faire. Les nouvelles générations qui arrivent ne sont simplement pas prêtes à payer pour de la musique. Tu peux faire des campagnes de crowdfunding, avoir des maisons de disques, faire toutes les initiatives que tu veux, on ne pourra rien y changer. Alors tu peux essayer de t'en sortir en vendant toi-même ton merchandising, en supprimant les intermédiaires ce qui te laisse une plus grosse marge, c'est toujours ça. Mais la tendance globale ne changera jamais. On atteint les fans différemment. A chaque fois qu'on croise un groupe, on discute et on se dit toujours "ah c'était mieux avant", etc., on pleure sur notre sort et oui, c'est certain mais il faut s'y faire parce que ça ne changera pas. A moins d'un miracle.
MI. Tu réalises quand-même que quelque part dans le monde, quelqu'un dort dans des draps aux couleurs de "Cast in Stone"...
André. [Rires] Je peux te garantir une chose : ce n'est pas moi ! Ce serait pratiquement du blasphème ! Je peux à peine porter un t-shirt ROYAL HUNT ! C'est trop, c'est "too much"... Je comprends l'idée, et les gens aiment ça, mais pour moi c'est trop. J'aime porter de beaux t-shirts cela-dit, mais pas des ROYAL HUNT.
MI. Vous vendez un peu de tout, et même des pierres à whisky... ne me dis pas que tu es étranger à cette idée !
André. Oui j'aime le whisky, j'utilise des pierres à whisky de temps en temps. On me les a présentés en me demandant "qu'est-ce que tu en penses ?" et j'ai répondu "bah vous avez déjà tout, au point où on en est, ok pour les pierres à whisky !" [Rires] ... J'essaie vraiment de ne pas trop interférer avec leur travail, à moins d'avoir une idée de génie. On a une super équipe avec des gens très sympas, certains travaillent à temps complet avec nous, d'autres sont en freelance, font les designs et les visuels. Ce sont des jeunes, je ne peux pas interférer sur ce terrain-là parce qu'ils le connaissent mieux que moi. Je ne pourrais pas inventer des choses comme les draps ou les pierres à whisky, etc. Mais on regarde ce qui se fait à côté aussi, chez les autres groupes, et donc pourquoi pas nous ?
MI. Par contre, ça coûte un bras tout ça... Tu n'es pas partisan d'une musique plus abordable ?
André. Oui c'est très cher, et ça ne sera que plus cher à l'avenir ! Tu as déjà été voir chez KISS ? IRON MAIDEN ? Non ? Voilà pourquoi tu demandes. C'est comme un grand magasin, tu peux tout acheter. Tu peux t'acheter des sous-vêtements, tout ce que tu peux imaginer. On n'essaie pas de concurrencer ça, parce qu'on est un groupe plus modeste. IRON MAIDEN ils commandent 20.000 t-shirts, ils savent qu'ils vont les vendre. Nous on commande quoi... 300 t-shirts. Et bien sûr, c'est bien plus cher à l'unité que quand tu en commandes 20.000. Et c'est le cas pour tout. KISS quand ils commandent des t-shirts, des mugs, de la literie, c'est par milliers. Et je ne sais même pas s'ils les revendent moins cher que nous, j'en doute ! (Rires) ... Si on pouvait commander 50.000 t-shirts avant la tournée, on les vendrait 10E ! Mais on ne peut pas.
MI. Vous vous êtes aussi mis à l'autoproduction, à travers votre label Northpoint Productions !
André. Northpoint Productions faisait déjà pratiquement tout. La seule chose qu'on déléguait c'était le pressage et la distribution des albums. Le deal avec Frontiers s'est arrêté, on s'est réuni avec le management et on s'est dit, quitte à commencer quelque chose de nouveau, autant le faire maintenant. Puisque nous ne sommes plus sous contrat avec une maison de disque, on est libres de faire ce qu'on veut. On n'était pas obligés de passer par une maison de disque. Le problème c'est qu'ils font certes du bon travail, mais ils ne peuvent vous offrir que ce qu'ils sont prêts à vous consacrer en terme de temps. Après la sortie d'un album, ils te fournissent un peu de promotion pendant quelques semaines, et après ils arrêtent. Parce que contrairement à avant, ils n'ont plus dix, vingt ou trente groupes sous contrats, mais des centaines. Et ils ne peuvent pas offrir la même considération à tout le monde. Donc en faisant tout le boulot nous-mêmes, on peut le faire aussi longtemps qu'on veut, et en y consacrant le temps et la main d'oeuvre qu'on veut. C'est la plus grande différence. Ce sont les mêmes principes, les mêmes interviews, la même promo, mais on le fait comme on veut et selon nos conditions. C'est comme quand tu es employé quelque part et que tu lances ta propre boîte. Tu n'as plus les mêmes contraintes, en terme d'horaires etc. C'est la même chose. Et j'ai toujours été pour ce genre d'initiatives, pour gagner un maximum en autonomie.
MI. On t'a déjà imposé des choses, sur le plan artistique ?
André. On ne m'a par contre jamais imposé de limites au niveau de la musique. On a eu parfois des désaccords sur certaines décisions, sur l'aspect purement physique et mercantile, par exemple, va-t-on sortir un single, sur quel titre, va-t-il y avoir une bonus track, combien de pages y aura-t-il dans le livret, à quelle date l'album va sortir... ce genre de choses. Cela arrive. Mais jamais je ne travaillerais avec une maison de disque qui interfère d'une manière ou d'une autre dans l'aspect artistique.
MI. Et pour les tournées, vous passez toujours par un intermédiaire ?
André. On continue de travailler avec Majestic pour les tournées, ce sont eux qui s'occupent de nous trouver des concerts. On a essayé différents promoteurs, agences... mais Majestic nous satisfait. Ils travaillent avec des promoteurs locaux.
MI. Pourtant on ne voit quand-même plus beaucoup ROYAL HUNT sur les routes...
André. Bien sûr mais c'est plus compliqué pour nous de partir en tournée aujourd'hui. Plus personne ne vend de disques du coup énormément de groupes partent en tournée ! Il y a énormément d'artistes qui tournent un peu partout. Les deux dernières années c'est un truc de fou, tous les gros groupes partent en tournée tu as SCORPIONS qui joue au même endroit, IRON MAIDEN pas loin non plus, donc pour des groupes pour nous, c'est ingérable parce qu'à une heure d'ici, un grand nom joue le même soir. Et il y a aussi des festivals un peu partout. Donc les gens, qui n'ont qu'une certaine somme à consacrer à leurs loisirs, doivent choisir. Sans compter les prix qui augmentent : un tour bus coûte deux fois plus cher qu'il y a dix ans ! Mais on fait ce qu'on peut.
MI. Il doit pourtant y avoir moyen de se raccrocher en première partie d'un autre groupe, non ?
André. Oui on pourrait jouer en première partie, je n'y vois aucun inconvénient ! La dernière fois qu'on a participé à toute une tournée en première partie, c'était dans les années 90 avec SAXON. Et depuis on a joué avec ALICE COOPER, DEEP PURPLE... Si on a l'opportunité de jouer en première partie, on y pensera sérieusement.
MI. Donc concrètement, qu'est-ce qui est prévu dans les mois à venir pour ROYAL HUNT ?
André. Pour le moment, février et mars seront consacrés à la promo de l'album. On va ensuite commencer à répéter, on a quelques dates en avril, en Russie, au Japon et il me semble que la Grèce vient de se rajouter au planning. Ensuite de fin août à mi-septembre, on a quelques dates de prévues, Barcelone notamment... Ce n'est pas définitif. Mais à peu près tout. Y aura-t-il une tournée cette année ? Je ne pense pas, ce n'est pas partie pour. Peut-être. Je travaille pas mal avec la télévision, donc j'ai quelques engagements de mon côté. J'ai des idées, des contacts qui essaient de m'impliquer dans différents projets donc je vais voir. C'est compliqué de me lancer concrètement dans quelque chose parce que ça dépend vraiment de ROYAL HUNT. D'ici avril-mai, j'y verrai déjà beaucoup plus clair.
MI. Bon je ne te demande pas si vous passerez par la France...
André. Je ne sais pour quelle raison, ROYAL HUNT ne marche pas en France ! Je me souviens d'une salle où on a joué une fois, c'était encore avec John, dans un sous-sol à Paris, une horreur ! (Ndlr : 28 septembre 2005, à la petite Loco)...
MI. Tu mentionnes souvent cette soirée, c'est le pire endroit où tu aies joué ?
André. Non... On a joué et on jouera encore dans des trous à rats, ce n'est pas ça qui me dérange. On jouera aussi dans de beaux festivals. C'est juste symptomatique de l'engouement que tu provoques dans un pays. On a toujours des plans comme ça avec un promoteur qui t'envoie dans des endroits un peu pourris, mais il ne faut pas insister, si ça ne marche pas à un endroit, tant pis, on oublie. Peut-être l'année prochaine. C'est vrai qu'avant, en France, il y avait Olivier Garnier (Verycords, ex-NTS entre autres) qui nous aidait bien... ça a disparu tout ça... C'était un grand fan de John West d'ailleurs ! Je me souviens qu'ils étaient toujours en train de parler de groupes obscures complètement confidentiels, et John connaissait toujours quelqu'un dans ces groupes... ils étaient inséparables. Enfin, tout a tellement changé.
MI. Qu'est-ce qui te manque le plus ?
André. L'enthousiasme des gens. Globalement quand tu discutes avec les promoteurs, la presse, ça manque d'enthousiasme. Tu vas sur les forums, y a un nouvel album qui arrive, quel que soit le groupe, DEEP PURPLE ou un autre. Et tu lis que les fans écrivent "ouais, c'est cool..." mais personne ne grimpe aux rideaux, plus personne n'est à fond ! On ne s'emballe plus pour rien. C'est comme si on avait prévu de vivre dix vies ! Profitons de ce qu'on a, bon sang...
Ajouté : Mardi 13 Mars 2018 Intervieweur : JB Lien en relation: Royal Hunt Website Hits: 4834
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