Johan Norrby, multi-instrumentaliste chevronné sans réel coup d'éclat derrière lui, a rassemblé au début de notre décennie quelques musiciens aux pedigrees variables (le guitariste Stefan Helleblad joue notamment pour WITHIN TEMPTATION), et sorti sous l'accronyme JONO deux albums en autoproduction. Requiem (2013) posait déjà les bases d'une identité musicale complexe, emprunté au Hard FM, au Rock mélodique et au Rock progressif, au gré d'influences aussi multiples qu'évidentes. Silence (2015) avait poussé plus encore cette pluralité en digérant admirablement ses inspirations (QUEEN, JOURNEY ou E.L.O.) pour aboutir à un disque aussi brillant que confidentiel. Des titres comme "Wasting Time" ou "Your Bread" donnaient alors un indice sur une suite pleine de promesses. Ce nouvel opus sobrement intitulé Life, le premier sous la bannière d'un label majeur, vient couronner un parcours jusqu'ici sans accroc.

Riche et multi-facette, le style JONO s'affirme ici avec une vraie certitude. L'ambitieuse recette inclut un sens aigu de la mélodie, un son puissant mêlé d'éléments progressifs, parfois symphoniques, mais toujours modernes et dynamiques, et une bonne dose de savoir-faire.

La voix de Johan est un atout redoutable. Elle est expressive, puissante, mais surtout versatile au possible : elle sait se faire tour à tour hargneuse, offensive puis sensible, fragile. Au sein du même morceau, elle appuie par le lead ou les choeurs les changements de décor et les brusques variations harmoniques. Compagnon fétiche de Norrby, le piano a aussi la part belle. Il ressort à merveille sur les parties plus dépouillées, participe à la construction instrumentale ("No Return"), et laisse parfois la place à des sonorités plus modernes (le clavier MUSE-esque sur "Crowns"). A la guitare, Stefan Helleblad et Léo Olsson tirent habilement leur épingle du jeu. Les parties rythmiques, du Hard Rock au jazzy, sont impeccables. Et les quelques soli, disséminés çà et là, sont de toute beauté ("No Return", la fin de "To be near you"...).

Depuis "Silence", les compos ont gagné en complexité et en épaisseur. Les morceaux les plus accessibles en terme de durée n'en comportent pas moins de multiples revirements d'ambiance, des passages plus progs, des structures agréablement déroutantes, qui contribuent au caractère du disque et à l'identité du groupe. Sans se répéter, l'album décline des titres majoritaire assez lents, qui prennent le temps de se construire ("My Love", "The Magician"), et offrent leur apogée au moment propice. Ils illustrent une exceptionnelle intelligence dans l'écriture, et un talent rare dans la création des mélodies.

Les titres plus longs, à tiroirs, regorgent de surprises. En témoigne "Down side" qui, en calmant le jeu en piano-voix à mi-morceau, installe une atmosphère intime, enrobante, avant de monter inexorablement en puissance pour un final rageur. "Trust" connait d'abord une construction classique avec un refrain assez quelconque, des choeurs imposants, puis un retour au calme, une improbable envolée vocale et une fin instrumentale emballante.

Aucune balade des précédents albums n'avait marqué les esprits. "The March" corrige magistralement ce léger regret, en toute fin de disque. Très épuré sans tomber dans la simplicité, ce titre entièrement acoustique souligne une interprétation toute en sensibilité de Johan, qui fait tinter les notes sans les bousculer. Superbe.

Voilà donc un album mature, solide. Life s'enracine dans un paysage dépeuplé, celui qui accueille l'inattendu, mais aussi l'excellence, la maîtrise et l'audace toutes en même temps. Il y restera le temps que vous le découvriez.