THE DILLINGER ESCAPE PLAN (usa) - Dissociation (2016)
Label : Party Smasher Inc.
Sortie du Scud : 14 octobre 2016
Pays : Etats-Unis
Genre : Free Mathcore
Type : Album
Playtime : 11 titres – 50 minutes
"J'ai fini par me détacher du Metal traditionnel... Alors que j'étais vraiment fasciné par ses extrêmes, je savais qu'il y avait des mecs comme Aphex Twin qui repoussaient vraiment les limites et qui étaient vraiment Punk dans l'attitude... Ce genre de choses a vraiment eu beaucoup d'influence sur nous lorsque nous avons créé le groupe, et cette musique n'était pas vraiment adoptée par la scène... Nous étions en quelque sorte la version guitare de tout ça, utilisant certains rythmes et fréquences qui paraissaient inhumains. Mais qui l'étaient d'une certaine façon. Ce genre de truc, c'est vraiment une part importante de notre histoire"
(Ben Weinman, 2016.)
Morris Plains, New Jersey, 1997. Alors qu'ARCANE se dissout discrètement, Ben, Dimitri et Chris pensent déjà à un avenir encore plus radical et fou musicalement que tout ce qu'ils ont pu accomplir jusqu'à présent, et certainement encore plus dingue que la plupart des choses accomplies dans le petit monde du Hardcore à tendance Metal.
Un premier EP éponyme, et puis, un autre, et puis...
Calculating Infinity. 1999, Relapse Records. Onze morceaux, dont un final avec shunt surprise, mais surtout, un gigantesque choc, et comme d'habitude, devant l'inconnu, la création d'un terme ridicule pour définir ce que peu de gens parvenaient à comprendre. Mathcore. Mathematical Core. Comme si les musiciens posaient des équations sur partition avant de les résoudre leurs instruments en main. Je veux dire... Du Hardcore intellectuel ? Nous en avions déjà une version, plusieurs même, proposées par Ian McKaye, par Rollins, par les BREACH, REFUSED, etc.
Mais cette fois-ci, tout était différent. Et l'est toujours aujourd'hui, comme un mystère insoluble que personne ne couche sur tableau sous peine de devenir fou.
Infini : Sans limites dans le temps ou l'espace. (Larousse). Ben et les autres ont eu le temps de le calculer et de se rendre compte que mis à part l'univers, rien n'était infini, et surtout pas leur carrière. Pourquoi ? Parce que finalement, comme l'affirmait le guitariste, DILLINGER ESCAPE PLAN a fini sa cavale loin d'un Metal qui finalement n'offrait pas assez de défis, pour se tourner vers autre chose.
Se dissocier ? C'est le mot, celui qui orne cette splendide pochette au graphisme aussi inextricable que les rythmiques qui ont jonché une carrière sans faille, qui aujourd'hui défaille et déraille et nous laisse sur le quai de la gare. Un cahier à la main, histoire de noter les dernières impressions. Qui sont... Fabuleuses. Il est toujours délicat d'affirmer à l'emporte-pièce qu'un ultime album est le meilleur d'un groupe qui n'a relevé que des gageures pendant des années. Il était difficile de faire plus intense, alors Ben, Liam, Greg, Billy et le nouveau venu Kevin ont choisi de faire plus ouvert, et plus sombre à la fois, et il est évident que Dissociation est sans doute l'album le plus contrasté du quintette, mais aussi celui à travers duquel la lumière filtre avec le plus de difficultés.
"J'aime les choses qui se superposent en couches, et je pense qu'il faut laisser le choix aux gens qui recherchent ça en leur proposant de décomposer s'ils le souhaitent. Ainsi, tu peux apprécier la globalité, mais aussi les détails indépendamment."
Greg résume très bien la situation, même si tous les derniers efforts de DILLINGER répondent à cette construction en puzzle, ou en gigogne selon les opinions.
Mais peut-être que le clin d'oeil était directement adressé à une tranche du passé, à ce fameux Ire Works que beaucoup se plaisent à croire comme achèvement global d'une carrière de détail. Il est vrai que le seuil de qualité et de diversité avait été placé si haut qu'on pensait que l'effort serait trop grand pour l'atteindre de nouveau.
Alors oui, non, peut-être. Ce qui est certain, c'est que Dissociation n'est ni Calculating Infinity, ni One Of Us Is The Killer, ni Miss Machine, mais tout ça à la fois, traité par le prisme Ire Works, et restitué en rais, subtils, fins, qui percent à jour le mystère DILLINGER.
Diversité, complétude, amplitude, logique, spontanéité. Tout est là. Du "Limerent Death" lâché en avant-première qui donnait le ton de la brutalité, à "Fugue", qui se permet justement de se frotter au souvenir d'Aphex Twin avec ses sonorités électro denses et pourtant apaisantes. Un autre clin d'oeil à Irony Is A Dead Scene ?
Ce qui est ironique, c'est que le groupe n'a jamais sonné aussi vivant alors même qu'il est officiellement mort, et presque enterré, sous ces fameuses couches que Greg décrivait.
Ire Works/ Dissociation, le parallèle n'est pas si inintéressant que ça finalement. Les points communs sont nombreux, l'éclectisme, le radicalisme flexible, et surtout, ce désir d'être là où personne ne vous attend, ou... presque.
Puisque finalement, nous n'avons jamais attendu DILLINGER à un point de chute bien précis, ne sachant jamais où le parachute des rythmiques allait nous lâcher.
Ils s'arrêtent de voler finalement, mais non sans se souvenir, c'est en tout cas ce qu'ils tentent de nous dire sur "Nothing To Forget", qui conviendrait parfaitement à un KILLING JOKE nostalgique de ses glorieuses et gelées 80's. Arrangements synthétiques pour groupe hautement organique, c'est un des faux étonnements d'un disque qui nous entraîne dans un monde dont les acteurs principaux résument les recoins en moins d'une heure.
Ils en reviennent aux origines, pour ne pas perdre le fil, sur un "Wanting Not so Much to as To", aussi heurté qu'une collision entre Calculating et Miss Machine. Jazz Metal comme d'habitude, fulgurances aux nombre de G incalculable, ça rassure et caresse dans le sens du poil, pour mieux nous l'arracher ensuite d'un "Manufacturing Discontent" qui s'amuse énormément à sinuer entre les années. Ca chamboule, ça mélodise, ça envoie des breaks en roublardise, et au bout du compte, ça ne ressemble à rien d'autre que du DILLINGER, comme toujours.
Le chemin est parfois pavé, parfois bien éclairé comme à l'occasion de "Low Feels Blvd", chaotique à l'extrême et qui propose le genre de pause harmonieuse qu'on trouvait déjà à l'état embryonnaire sur "Sugar Coated Sour", avec cette fois-ci une envolée de guitare digne de John McLaughlin ou de TRIBAL TECH.
Mais c'est aussi plus diffus, lorsque les pas suivent les ombres étranges de "Surrogate", qui joue de longues parties instrumentales opaques pour mieux déformer les silhouettes. Un peu à l'image d'un FAITH NO MORE dont ils ont tant vénéré le leader, qui une fois de plus les guide pour un sublime passage crooner suintant de méchanceté de velours. Mais tout ça, nous le savons, nous connaissons l'histoire, et autant se contenter de l'écouter, pour une dernière fois.
Cette histoire, si l'on en croit leur parole et le fil, se termine sur une note douce-amère, et avec les nappes de cordes de "Dissociation", restructurées par des imbrications électroniques, histoire de bien montrer une fois de plus que le Metal n'est plus d'actualité. On pense PORTISHEAD, GOLDFRAPP et toute la vague Drum N'Bass/Trip Hop des Tricky et consorts, mais le chant de Ben est si délicat qu'on se prend au jeu, et qu'on admet que les règles ne sont pas négociables.
Certains auraient sans doute préféré une sortie en fanfare, la tête haute et le verbe fier, mais cette façon de ne pas se défiler en assumant ses affinités est sans doute le plus beau hochement de tête que Ben et les siens pouvaient nous adresser.
"Les circonstances entourant l'élaboration de cet album ont rendu l'enregistrement très difficile, mais si on les occultait, il serait complètement différent. Certaines méthodes employées ici étaient parfaitement ridicules, mais ces mêmes méthodes ont abouti à la création d'un album qui ne ressemble à rien de ce que nous avons déjà fait, ni quiconque d'ailleurs. Et finalement, ce qui aurait pu nous pénaliser nous a au contraire aidé à apporter un plus à notre parcours général, et si tu changeais le moindre de ces éléments, alors tu ne pourrais pas comprendre tout ce que nous avons accompli."
Des accidents, des hasards heureux, des arrivées, des départs, des changements, des stabilisations. Une fuite en avant, tout ça parce qu'ils avaient décidé de ne rien faire comme tout le monde. Et alors que justement, le monde pensait leur oeuvre infinie, ils ont choisi de lui offrir une fin. Sombre, étonnante, mais pas plus que n'importe quelle chapitre de leur légende.
Une histoire que vous ne pourrez pas calculer, mais dont Dissociation vous offre le final. Un final au moins aussi important que le prologue qui nous disait déjà, à l'époque, que plus rien ne serait comme avant.
Ajouté : Mercredi 02 Novembre 2016 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Dillinger Escape Plan website Hits: 7431
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