MAÏEUTISTE (FRA) - Maïeutiste (2015)
Label : Les Acteurs de l'Ombre Productions
Sortie du Scud : 19 septembre 2015
Pays : France
Genre : Black Post Metal Expérimental
Type : Album
Playtime : 11 Titres - 76 Mins
L'époque est au mélange des cultures, au métissage, qu'on voudrait bien nous imposer via un multiculturalisme que nous n'aurions pas forcément désiré. Mais admettons que tout ceci résulte d'un processus naturel d'évolution, contre lequel nous ne pouvons rien. Après tout, le village mondial a subi d'importantes mutations, résultant la plupart du temps de conséquences de conflits, de catastrophes humanitaires et naturelles, et il est somme toute assez normal que la face du monde en soit affectée.
En art, le processus est tout aussi inévitable, quoique plus personnel dans la construction. En musique, il est patent dans cette recherche permanente d'ouverture, qui produit des hybridations toujours plus improbables, et qui fonctionnent pourtant, permettant des évolutions notables, et enrichissantes.
Le Black Metal, aussi foncièrement outrancier soit il n'a pas échappé à cette règle. Il est même le style le plus perméable à la tolérance de ton, ce qui le rend si riche et captivant. Le temps lointain des groupes refusant toute compromission est bien révolu, et de nos jours, il devient de plus en plus fréquent de rencontrer des ensembles qui n'utilisent les codes du BM que comme base expressive, pour le transcender de références externes.
Ce qui résulte souvent sur la création d'oeuvres fascinantes, comme le démontre aujourd'hui ce premier album des lyonnais de MAÏEUTISTE.
Maïeutiste: qui adhère à la philosophie du même nom, prônant une méthode qui permet à un esprit grâce au dialogue d'accoucher de vérités cachées.
La première vérité au sujet de ce groupe à part, c'est qu'il recelait en lui un potentiel énorme que sa première démo publiée en 2008, Socratic Black Metal laissait déjà un peu entrevoir. Se réclamant de Socrate, MAÏEUTISTE privilégie donc le dialogue, et si à l'instar de leur mentor, ils prétendent que leurs interlocuteurs ne savent rien, ils admettent implicitement ne rien savoir non plus, ce qui est la base de la rationalité si chère au philosophe qui n'en était pas vraiment un de fait, mais suffisamment pour influencer le très cartésien Descartes quelques siècles plus tard.
Alors le dialogue est établi avec nous, public. Il est abondant, comme le démontrent ces onze morceaux qui s'étalent sur plus d'une heure et quart de musique, mais aussi riche, complexe, et propre à la réflexion comme au ressenti.
Si les fondements de la musique des lyonnais est sans conteste possible très Black, les extensions et déformations qu'ils proposent se permettent de fréquentes allusions au Post Rock, au Doom, au Jazz, et en fait, à l'expérimentation au sens large. Et de là, le constat s'impose et crève les yeux. Pour un premier album, Maïeutiste fait preuve d'une personnalité très affirmée, semble plein d'assurance, et pourtant, laisse une part importante au doute. Et si après tout, tout ceci n'était qu'un leurre, une façon de chercher une vérité que finalement personne ne trouvera ?
La vérité, c'est que ce premier LP est d'une maîtrise inouïe à ce stade précoce d'une carrière, et qu'il pourrait faire date, pour peu que suffisamment d'esprits éclairés en face l'éloge.
Je ne me prétend pas en tant que tel, mais j'avoue que ce subtil mélange d'influences m'a vraiment emballé. A tel point qu'à la fin de plusieurs écoutes successives, j'étais toujours incapable de coucher sur papier mes émotions.
Car Maïeutiste m'a troublé, avec son propos hors du temps, ses sautes d'humeur le faisant passer d'un amas de blasts à un îlot de Jazz, voire de Progressif des seventies, sans paraître incongru ou ridicule. Il regorge d'idées, et s'exclue lui même de toute rationalité, ce qui le place en porte à faux eut égard à ses convictions d'origines. Mais la contradiction étant la base de toute réflexion, il en est finalement l'épitomé ce qui rend les débats encore plus complexes.
La réflexion est donc la base de ce premier album aussi ambitieux que naturel. Le groupe propose de nombreux débats, parfois très étayés et argumentés, dont "Death To Socrates", "Lifeless Visions" et "The Eye Of The Maïeutic Art" en sont les plus fournis, avec presque ou plus de dix minutes de développements chacun. Mais c'est justement cette dualité entre spontanéité et sophistication qui fait le charme de ce premier gros chantier de l'esprit, et surtout, cette forme d'absolu qui les fait travailler chaque partie avec conscience et application. Que le groupe taquine un Progressif tribal presque Kobaïen ("Death To Free Thinkers" et son énorme boulot sur les percussions), qu'il pénètre les dédales d'un Post Ambient aussi apaisé que tourmenté ("Purgatoire" et sa délicate acoustique qui se place en contrepoint de textures sombres en ouverture), ou qu'il singe une attitude presque Dark Rock largement teinté de Black N'Roll ("Reflect - Disappear", aussi CREMATORY que MAYHEM), il le fait tout à fait concrètement, sans rester allusif ni superficiel.
De là, il est possible de voir en ce Maïeutiste un manifeste de la contradiction d'opinions, qui tire son argumentation des fondements propres d'idéologies musicales différentes, pour aboutir à une autre vérité, pas forcément perceptible au prime abord, mais qui finit par s'imposer en vous, comme un point de vue à la véracité indéniable une fois découverte.
Et cette vérité est simple. La musique n'est pas unicité, mais pluralité. On peut être extrême en abordant le Jazz, le Post Metal, le BM, le Progressif, et il est possible de produire une musique très homogène sans se cantonner à une seule source d'idées.
C'est ce raisonnement qui fait que des titres comme "Annonciation" et son Post Rock évolutif (avec une production qui se souvient des leçons des 70's, qui laissait respirer tous les instruments, y compris cette basse volubile) et "Absolution", et son BM Jazzy vraiment très décalé peuvent cohabiter sans se contredire ni dans le fond, ni dans la forme.
Et quand bien même "The Fall" choisit de clôturer la discussion par un Black somme toute assez classique, il n'occulte en rien tout ce qui l'a précédé.
Non décidemment, aussi expérimental soit-il, ce premier album des lyonnais est d'une évidence limpide. Il est la déclaration d'intention de musiciens libres, qui confrontent des théories pour étaler la leur, qui remettent en question le bien fondé d'une école de pensée qui nous a trop longtemps fait croire que la pureté était la seule clé de la créativité et de la crédibilité.
Le métissage, encore une fois. Via une rhétorique musicale logique et construite. De l'éloquence, mais avec un bagage suffisamment riche pour ne pas rester qu'une simple figure de style.
Et vous avez tout à fait le droit de me contredire, puisque en tant que rationaliste, j'avoue ne pas en savoir plus que vous. Mais il faut chercher la contradiction pour aboutir à une forme de vérité. Et la seule chose qui soit vraie et indéniable dans tout ça, c'est que MAÏEUTISTE a réussi à proposer la musique la plus cohérente qui soit tout en prônant la versatilité.
Et c'est un postulat qui une fois énoncé, ne supporte plus la contradiction.
Ajouté : Dimanche 03 Juillet 2016 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Maïeutiste Website Hits: 7438
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