GREY AURA (nl) - Waerachtighe Beschryvinghe (2016)
Label : Blood Music
Sortie du Scud : 3 juin 2016
Pays : Pays-Bas
Genre : Conceptual Black Metal
Type : Album
Playtime : 18 Titres - 83 Mins
Avoir de l'ambition, c'est un plus lorsqu'on évolue dans une discipline, artistique ou non. Ne pas se contenter de ce que l'on est capable de faire, même si on le fait très bien, mais chercher à aller au-delà de ses propres capacités pour se transcender, et devenir meilleur.
Pas meilleur que les autres non, quoique parfois ce soit une conséquence inéluctable, mais meilleur que soi-même. Ne pas accepter de buter sur un obstacle, aussi difficile soit-il à franchir, mais chercher le moyen de le dépasser ou de le contourner.
Le Black Metal, forme primaire de musique rejetée par la masse n'échappe pas à cette règle. Combien de combos peu exigeants acceptent de recycler les théories énoncées voilà des années par les maîtres du genre, sans chercher à savoir s'il n'y aurait pas une possibilité nouvelle de voir les choses ?
Ce genre de comportement amène souvent les musiciens à proposer des albums standardisés, et déjà usés avant d'avoir éprouvé la patience des auditeurs.
Mais certains fuient justement ce genre de réflexes, et passent des années à travailler, patiemment, à l'élaboration d'œuvres... ambitieuses.
Ce qui est le cas des Hollandais de GREY AURA.
Fondé durant l'été 2010 en tant que quatuor du côté d'Odijk, le groupe comprenait alors dans ses rangs Ruben Wijlacker (chant), Tjebbe Broek (guitare, basse), Bas Van Der Perk (batterie) et Menno de Groot (basse). Après un unique EP paru, le quatuor resserra ses rangs autour de Ruben et Tjebbe, duo central qui décida de revoir les objectifs de leur entité, et d'aller plus loin qu'un simple combo de BM lambda.
Ils voulaient en effet s'immerger dans l'art en profondeur, musicalement évidemment, mais aussi d'un point de vue littéraire et conceptuel.
Le mot était lâché.
Ils se réclamaient de la troisième vague de BM, de la musique Folk traditionnelle, de la poésie romantique, mais aussi de la littérature historique.
C'est ce dernier centre d'intérêt qui les amena à se focaliser sur l'histoire de l'explorateur Hollandais, Willem Barentsz.
Barentsz chercha pendant des années un passage au nord-est menant vers l'Asie, et lors de sa dernière tentative en 1596, il se retrouva bloqué avec tout son équipage dans les glaces de l'Arctique, près de l'île abandonnée de Novaya Zemlya. Devant affronter le froid mortel de l'hiver arctique, ils entreprirent de se construire des refuges avec des morceaux de leur navire, pour ne pas succomber au blizzard...
Ce pan d'histoire a donc été ramené à la vie par le duo GREY AURA, qui aura consacré trois ans de sa vie à l'élaboration de ce double album qui devrait couronner leur carrière à un niveau international. Pour en arriver là, les deux musiciens n'ont lésiné ni sur les efforts, ni sur les moyens...
Ils ont empilé les couches de sons, travaillé leur musique comme un matériau de base qu'ils ont modelé à leur convenance, mais aussi accumulé plus d'une heure et vingt minutes de musique au travers de dix-huit pistes, et proposent en version physique un booklet de soixante page racontant l'histoire de Willem Barentsz en détail, confiant le travail pictural à l'artiste de renom Thomas Knopper.
Tout ceci aurait pu aboutir à une très jolie boite de Pandore s'ouvrant sur un néant artistique absolu. Mais c'est exactement le contraire qui est arrivé puisque Waerachtighe Beschryvinghe, sous sa forme actuelle est une œuvre envoutante et définitive, qui va remettre les pendules du Post Black et de l'avant-garde à l'heure des ambitions maîtrisées.
La maîtrise justement dont fait preuve le duo est tout bonnement sidérante de bout en bout. En découvrant le tracklisting, j'ai senti de suite des fourmis au bout de mes doigts, doutant qu'un album de Black Metal nécessite un traitement aussi long.
Mais après m'être immergé dans l'album en question, j'ai vite réalisé qu'il n'aurait pas pu en être autrement. La somme de boulot accomplie est vraiment à tomber, tant les Hollandais ont peaufiné chaque détail de leur musique, utilisant des acteurs donnant corps à l'histoire, des samples tout à fait pertinents et intégrés, ou des bruitages de vent réalistes qu'ils ont capté eux-mêmes.
De fait, on écoute Waerachtighe Beschryvinghe comme on suivrait un morceau d'histoire racontée en temps réel, ou une reconstitution filmée qui s'attache à la véracité des faits. Ruben et Tjebbe ont réussi à transcender les clivages de style pour donner à leur Black Metal des reflets Folk, progressifs, à le décomposer en strates pour le recomposer en couches, et il se pourrait même que sur l'autel des chefs-d'œuvre du concept, leur album trouve une place de choix.
Un peu comme si RUSH, VOIVOD, MAYHEM et SIGUR ROS avaient uni leurs talents respectifs dans un but commun. L'image peut paraître osée, et pourtant, son utilisation est mesurée, je vous l'assure.
Le groupe sait se montrer foncièrement brutal lorsque l'histoire en a besoin, mais aussi nuancé, mélodique, abscons, abstrait ou frondeur selon les options.
Pour ceci ils ont eu recours au piano, au mélange de timbres de voix, aux imbrications de parties narratives et instrumentales s'enchaînant avec virtuosité et fluidité...
Ne comptez pas sur moi pour disséquer ce monstre en faisant allusion aux pistes en elles-mêmes, puisque tout a été construit pour être écouté d'un trait.
Sachez simplement qu'il n'y a que peu de morceaux pouvant se réclamer d'un BM "traditionnel", et que la plupart jouent la fusion, l'hybridation, avec une basse omniprésente et libre, et des parties percussives inventives.
Le chant se taille lui aussi la part du lion, donnant corps aux personnages, aux émotions, tandis que la guitare s'en donne à cœur joie, taillant des riffs dans la glace ou les faisant tourbillonner dans les rafales de vent.
J'ai placé quelques références sur la piste, et je ne ferai pas plus de comparaison. Le travail de GREY AURA est trop personnel pour être mis en parallèle avec d'autres artistes en activité, et le faire serait insultant à leur égard.
Il faut tout simplement comprendre à quel point cet album est unique en l'écoutant. Mais dans le monde impitoyable du Black Metal moderne, Waerachtighe Beschryvinghe sera une nouvelle pierre de rosette que l'on mettra des années à disséquer, certainement autant qu'il en a fallu pour le composer.
Une surprise de taille pour un pavé créatif qui bouillonne d'idées. Une œuvre pensée de A à Z qui ne se contente pas de frôler la perfection, mais qui plonge en plein dedans.
C'est plus que du Black Metal, plus qu'un concept. C'est de l'histoire en musique. Une histoire vraie, dure, cruelle, comme les morceaux qui la décrivent.
Ajouté : Samedi 07 Mai 2016 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Grey Aura Website Hits: 5336
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