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DREAM THEATER (usa) - The Astonishing (2016)






Label : Roadrunner Records
Sortie du Scud : 29 janvier 2016
Pays : Etats-Unis
Genre : Metal Progressif
Type : Album
Playtime : 34 Titres - 131 Mins





On attend toujours trop des groupes que l'on aime, même ceux que l'on aime du fond du cœur. Mais les années passant, les chefs d'œuvre s'amoncelant, on pense les connaître par cœur. On tombe alors dans une léthargie affective qui consiste à saluer chacun de leurs efforts, mais sans vraiment s'en étonner, conscients de leur potentiel, de leurs capacités, et la magie cède la place à une routine doucereuse, et disons-le, confortable. Ce principe s'applique à tous les groupes de talent, mais pas forcément aux groupes d'exception. Les BEATLES ont maintenu jusqu'au dernier souffle la pression, se payant le luxe de sortir leur magnum opus en sachant pertinemment qu'il serait leur dernier travail en commun, comme ça, naturellement. Comme si de rien était.
Le troll Devin Townsend parvient après plus de vingt ans de carrière en solo ou en groupe à nous faire renifler l'odeur de ses délires comme si nous sentions une rose pour la première fois. C'est ainsi. Certains groupes ont atteint un tel degré de créativité et de folie qu'ils parviennent toujours à nous emporter dans leurs dédales, aussi personnels et egocentriques soient-ils.
On pourrait lancer le débat, des noms, des avis contraires, mais le principe de base ne changerait pas.

Et le cas de DREAM THEATER déclencherait sans doute les passions, mais aussi les contradictions.

Lorsqu'on chronique un album du quintette, le travail est délicat, et redoutablement complexe. En tant que journaliste, il faut parvenir à mettre ses affinités de côté pour rester objectif, mais la tâche est ardue. Pour un fan lambda comme moi, ayant découvert le groupe par l'entremise du séminal When Dream And Day Unite, et l'ayant adopté définitivement lors de la sortie du surréaliste Images And Words, le cas est d'école, et l'issue incertaine. Il m'est en effet très difficile de prétendre être capable d'occulter mon affection pour eux, et le risque de tomber dans le panégyrique menace à chaque signet. Il convient donc d'être vigilant, de garder en tête les efforts passés, et de considérer la nouveauté avec toute l'honnêteté qu'elle mérite. Et dans le cas de The Astonishing, les efforts sont immenses. A l'image du boulot accompli sur cette œuvre hors normes, qui repousse encore plus loin les limites d'un groupe qui n'en admet plus aucune depuis longtemps.

Je l'avoue, j'avais peur de le chroniquer. Double album, concept, de plus de cent trente minutes, le pavé semblait dur à digérer et le décortiquer prenait des airs d'inventaire de la bibliothèque d'Alexandrie avant l'incendie. Mais il m'a bien fallu m'y plonger, et le voyage n'a pas été de tout repos. Admettons-le, on ne ressort pas d'un disque pareil indemne. D'une, parce qu'il est double, même si le groupe nous a déjà fait le coup. De deux, parce que la comparaison avec Metropolis 2000 semblait inévitable. De trois, parce que son univers est tellement décalé et spécial – même pour un groupe de la trempe de DREAM THEATER – que le juger sur ses seules bases et qualités devient la seule approche patente. Et ça, c'est un point d'ancrage très flou et mouvant. Comme la musique qu'il contient.

Cet album a nécessité un travail de titan, pour la majeure partie accompli par Petrucci et Rudess, avec un sacré coup de main du vétéran David Campbell (ADELE, LINKIN PARK, MICHAEL JACKSON, mais aussi des films comme August Osage County ou Brokeback Mountain) au niveau de l'orchestration et des arrangements classiques. L'histoire est née du cerveau fécond de Petrucci, qui a peaufiné son histoire pendant un an avant d'oser la présenter au groupe, et au label. Influencé par l'Heroïc Fantasy mais aussi par un monde s'enfonçant de plus dans la déshumanisation technologique, le placide guitariste à pondu une histoire futuriste à dimension humaniste et artistique, que je vous résumerai brièvement ici, puisqu'elle fait partie intégrante de l'aventure musicale.

Dans un avenir plus ou moins lointain (2285), un univers dystopien. Après des évènements tragiques, la musique est bannie de la surface de la terre, et son seul équivalent réside dans les sons synthétiques et irritants produits par des drones.
Mais au loin, dans un village reculé, un jeune homme naît avec un don incroyable pour cet art. Dès lors, la bataille va faire rage entre la milice des rebelles de Ravenskill et le Grand Empire du Nord des Amériques, mais je n'irai pas plus loin dans la description pour ne pas vous gâcher le plaisir de la lecture auditive. De plus, il est inutile ici de juger de la pertinence de l'histoire, qui aussi étoffée soit elle, passe au second plan puisque la musique doit rester notre focalisation principale... Selon mon avis bien évidemment.

Alors musicalement, qu'en est-il ?

En se basant sur le passif/passé des américains, nous étions en droit de nous attendre à tout. Ils sont passés par la case grandiloquence opératique (Six Degrees, Metropolis 2000), le radicalisme Metal presque Néo (Train Of Thought), le Progressif sombre et agressif (Awake), l'ambivalent alambiqué (Octavarium), et leurs derniers efforts semblaient avoir trouvé une cohésion de ton, que Black Clouds and Silver Linings, A Dramatic Turn Of Events et Dream Theater semblaient imposer tout en gardant cette unique versatilité du coin de la croche.
Et pourtant, malgré tous ces épisodes aussi différents que complémentaires, alors même que nous pensions pouvoir envisager leur avenir avec sérénité, ils parviennent encore à nous prendre en partie à revers, en proposant l'œuvre la plus hétérogène et cohérente de leur répertoire.
Mais ne vous leurrez pas, pour en arriver à cette conclusion, il vous faudra multiplier les écoutes comme je l'ai fait, assimiler le tome pour pouvoir en saisir toutes les nuances, et il est assez peu risqué d'affirmer que The Astonishing est le plus difficilement domptable des albums de DREAM THEATER.

"J'avais envie de quelque chose plus grand encore qu'un album concept"

C'est ainsi que Petrucci présentait l'affaire aux médias, avides de nouveauté, et d'explications. Après ces quelques années passées à stabiliser le groupe, après des albums uniquement destinés à assurer la transition entre Portnoy et Mangini, il était temps de repartir de l'avant, avec tout l'enthousiasme et l'ambition dont le groupe à presque toujours fait preuve.
En préambule à cette (longue) chronique, je me porterai en faux contre les affirmations de certains collègues qui affirment que The Astonishing est avant tout l'album de John et Jordan. Certes, les deux se taillent la part du lion, niveau composition d'abord, mais aussi au niveau du jeu, et il est aussi vrai que la rythmique Mike/John se montre plus discrète qu'on aurait pu le penser, mais cela est uniquement du à la direction artistique de l'album, en majorité mélodique et soft.
Mais négliger ou occulter l'immense travail vocal de James qui s'impose avec un brio et une sobriété incroyable dans la peau de tous les personnages (huit) serait une honteuse injustice. LaBrie chante comme il a rarement chanté, se perd dans des digressions de cabaret, module ses cordes vocales pour toucher nos cordes sensibles, retrouve sa puissance sur les intermèdes les plus grondants, et en gros, se donne autant de mal que les deux géniteurs du projet pour le mener à bien.
Ceci étant dit, allons-y, mais ne comptez pas sur moi pour faire du track by track comme tant d'autres chroniqueurs à la plume un peu facile.

C'est vrai, il est inutile de tourner autour du pot, il y a à boire et à manger sur ce double album. Je ne vois pas comment il aurait pu en être autrement avec pas moins de trente-quatre titres et deux heures dix de musique. Il est aussi vrai que l'ambiance générale pourra paraître douloureusement tendre aux fans purs et durs de DT, mais c'est le choix qui s'accorde au concept, et il est inutile d'en discuter ici.
Tendre, mais créatif ? Telle est la question... Il est vrai que beaucoup de pistes se concentrent sur l'aspect harmonique, ce qui peut gêner les plus friands d'envolées progressives, mais qui permet à John de retrouver une inspiration qu'il avait laissée s'échapper en tombant parfois dans ses systématismes un peu irritants. Le jeu de Jordan n'a pas changé d'un iota, on pourra juste signaler pour la forme qu'il semble parfois beaucoup s'amuser lui aussi en s'envolant dans les délires synthétiques des drones.
Nous avons déjà abordé le cas de la rythmique, ainsi que celui de James, alors parlons des chansons en tant que telles.

The Astonishing ne restera pas dans l'histoire comme le LP le plus belliqueux du groupe, c'est un fait. Mais il risquera par contre de laisser de graves séquelles eut égard à ses qualités mélodiques, qui atteignent des sommets rarement côtoyés par le quintette.
Certes, certaines harmonies semblent tout droit provenir de Metropolis 2000 ou Six Degrees, certaines constructions vous seront très familières, et il est évident que les travers mielleux dénoncés par les fans Hardcore sur les albums précédents trouveront ici un écho encore plus défavorable, lorsque DT se montre complaisant sur certaines ballades un poil trop mièvres.
Le premier des deux CD est le plus conséquent avec ses quatre-vingt minutes, et propose les morceaux les plus courts, certains relevant même du simple interlude, et globalement, l'architecture interne peut sans problème être comparée à The Wall pour ses choix de brièveté, ou même au Tommy des WHO pour cette propension à laisser la musique parler d'elle-même sans chercher à forcer son discours en longueur, ou en cohésion.

On y retrouve évidemment le DREAM THEATER de ces vingt dernières années, toujours aux abois, capable de passer du coq mélodique à l'âne progressif, en sautant par-dessus l'enclos pour de grandes envolées lyriques et puissantes. Beaucoup risquent de trouver par contre qu'ils poussent parfois le bouchon de la douceur en amont de courants un peu trop calmes ("Chosen", qui rappelle beaucoup les dominantes de la longue suite "Six Degrees", avec toutefois un magnifique solo de John dans un écrin de chœurs touchants, "When Your Time Has Come", sorte de "The Silent Man" revu et corrigé), et que les passages plus volontiers tranchants sont trop cachés en arrière-plan ("Lors Nafaryus", "A Tempting Offer").

Mais ce premier volume cache de petites perles franchement inhabituelles ("A Better Life", presque formel dans son approche Heavy Rock), des segments volontiers hargneux et théâtraux, durant lesquels Labrie donne un joli aperçu de ses talents de conteur ("Three Days", qui avec ses tics de cabaret rappelle vraiment les meilleures blagues musicales de l'ami Townsend), mais il est évident que sa tonalité générale reste conforme aux axes développés ces vingt dernières années par le groupe. Même si de temps à autres ("A New Beginning"), le quintette se souvient avoir été un grand fan de RUSH.
Et si Mike Mangini déclare avoir du poser son jeu sur des instrumentaux sans ossature rythmique, il s'en sort évidemment à merveille, et fait presque définitivement oublier l'absence désormais définitive (ou pas...) de Portnoy, sans pour autant avoir besoin d'en rajouter des tonnes.

Mais John parvient encore à trouver des riffs atypiques ("The Road To Revolution", joli fondu vers le second chapitre), et même si Jordan recycle des parties à tire larigot ("Dystopian Overture"), le bilan est plus que positif et déjà – osons le mot – grandiloquent, mais d'une dimension humaine.

Le second CD, d'une durée plus raisonnable, reprend les choses là où le premier les avait laissées ("2285 Entracte"), et entame dès "Moment Of Betrayal" sa course en avant. L'histoire entre de plein pied dans la tragédie, et la musique s'y accorde bien évidemment, et nous retrouvons alors le DT que nous connaissons bien, qui nous happe dans ses déambulations progressives à la "Metropolis". Le jeu de Petrucci est toujours aussi inspiré, mais on peut noter un regain d'implication de la rythmique qui retrouve enfin sa belle complicité, tandis que James retombe dans des lignes vocales plus conventionnelles.

La formule imposée par le premier volet ne change pas, et se radicalise même un peu, puisque seuls deux titres dépassent les cinq minutes, chose extrêmement rare. On y sent de fortes réminiscences du FLOYD, teintées d'harmonies oniriques ("Heaven's Cove"), mais aussi une puissance narrative et musicale accentuée et mâtinée d'efforts contemporains ("The Path That Divides"). Les reproches d'accalmies seront moins accentués, bien que la pauvre Faythe soit toujours associée aux instants les plus délicats ("Losing Faythe", à la mélodie quand même bien plus travaillée que son pendant "Act Of Faythe" du premier CD), puisque si les moments apaisants sont toujours nombreux, ils ont le mérite de se parer d'atours Pop Celtique ("Hymn Of a Thousand Voices", au violon enchanteur), et d'être immédiatement suivis d'impulsions bien plus Hard Rock que la première partie ("Our New World", étrangement linéaire mais séduisant, qui rappelle en version mid tempo l'incontournable "About To Crash").

Beaucoup ont déploré le manque d'envergure du grand final que "Astonishing" n'incarne pas à sa juste valeur selon eux, et il est vrai qu'après plus de deux heures de musique, nous étions en droit de nous attendre à un véritable feu d'artifices dans la lignée de "Losing Time", "Finally Free" ou "Illumination Theory". C'est un avis en partie pertinent, mais avec ses variations de thèmes et de climats, cet ultime morceau représente la conclusion idoine à un travail de patience, autant par son humilité que par son parti-pris mélodique. Chacun jugera de sa valeur en tant que final, mais tout le monde dans un désir d'honnêteté reconnaitra que ses effusions le rapprochent grandement de la clôture de Six Degrees.

Album fleuve, chronique fleuve, et au moment de mettre un terme à cette prose que je sais sincère, les mots viennent à me manquer.
Je pense tout simplement que The Astonishing séduira les fans de DREAM THEATER, qu'ils suivent le groupe depuis ses débuts majestyueux ou qu'ils aient pris le Train of Thought en route. Après tout, nous aimons tous ce groupe pour sa capacité à nous enthousiasmer, à se dépasser, et il est vraiment plaisant de retrouver le DT aventureux que la fin des 90's et le début du nouveau millénaire nous avaient présenté. Avec un recul encore frais, il ne m'apparaît clairement pas comme l'achèvement d'une carrière, encore moins comme le meilleur album du groupe, mais il est tellement riche et dense qu'il pourrait s'imposer sur la longueur.

On y sent en tout cas que Petrucci, Rudess et LaBrie ont tout donné, même si John et Mike semblent un peu en retrait. Quant à juger de la pertinence de la narration et de l'originalité/crédibilité du concept, je m'en remets à votre avis personnel, chacun y trouvant son compte ou pas, ce qui n'empêchera personne d'en apprécier la musique.
C'était le treizième album de DREAM THEATER, espérons que ce nombre leur porte chance. Attendez-vous en tout cas à des concerts/spectacles grandioses, comme Petrucci nous a prévenus, qui reprendront l'intégralité de l'album avec des figurants, des décors et des effets spéciaux. Et ça, je dois avouer que c'est une perspective qui me réjouit au plus haut point.
Alors bien sûr, certaines harmonies ont une forte teneur en saccharose, certes, certains réflexes relèvent parfois du pilotage automatique, mais quel travail gigantesque a été accompli pour accoucher de ce double album aux proportions homériques.

Mais si on attend toujours trop des groupes que l'on aime, c'est parce qu'on les aime du fond du cœur. Et avec The Astonishing, le monstre sacré qu'est DREAM THEATER nous prouve qu'après toutes ces années, il nous aime encore à la folie.



Ajouté :  Jeudi 10 Mars 2016
Chroniqueur :  Mortne2001
Score :
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