HYPNO5E (FRA) - Shores Of The Abstract Line (2016)
Label : Pelagic Records
Sortie du Scud : 19 février 2016
Pays : France
Genre : Hypnotic Post Music
Type : Album
Playtime : 8 Titres - 61 Mins
"Toujours en colère, et enveloppé de misère, le voici."
Comment appréhender la musique ? L'art permet-il de s'affranchir des pesantes constantes de la réalité que d'aucuns appelleraient routine ? Est-il un voyage au fond de soi, vers les autres, ou en plein milieu de nulle part, sur des terres fantastiques qu'on foule d'un pas léger ? Les trois à la fois sans doute...
Alors, chacun l'appréhende comme il le souhaite. C'est un plaisir assurément, celui de partager une passion, avec d'autres musiciens, un public, une audience, et au premier degré, on en demande pas davantage. Ni d'avantages d'ailleurs. Juste celui de jouer pour les premiers, et d'écouter pour les seconds.
Mais pour peu que la musique ne soit qu'une composante d'un tout, le puzzle devient plus complexe, et disons le, humain.
Mais au delà de l'humanité, les rêves se posent, en notes, en vers, en images, en perspectives. Les perspectives qu'HYPNO5E avaient dessinées jusqu'à présent étaient pluri dimensionnelles. La plume et l'épée n'étaient que mots, empruntés ou créés, mélodies, noires, lumineuses ou tamisées, et rythmiques, stables, cassées, ondulantes.
Et alors que les mémoires sont encore agitées des soubresauts de Acid Mist Tomorrow, le quatuor revient, avec son prolongement, son parallèle, son extension. Comme vous voulez.
Quatre ans, pile. Février 2012/février 2015, ce sont les quarante huit mois qui vont bientôt séparer les deux albums, et pendant ce laps de temps, des concerts, beaucoup, des voyages, internes et externes, et de la réflexion, de la spontanéité, et Shores Of The Abstract Line.
"Et au moment du départ, il me venait des vilaines pensées, des sensations bien sinistres." (Céline, Mort à crédit)
On peut en effet acheter la mort à crédit, mais la vie elle se paie en cash/clash d'émotions et de ressenti. Acid Mist Tomorrow nous les avait étalées au grand jour, ces réactions aussi contraires que complémentaires, et Shores ne change en rien leurs dualité.
Ils voient leur musique comme une dichotomie, ce besoin viscéral et bipolaire de pousser au bout la violence pour atteindre enfin l'apaisement suprême. Et une fois de plus, aussi ardue et absolue soit cette entreprise, ils ont réussi.
Alors oui, la trame est restée la même, les tics, les réflexes, les poussées d'adrénaline, les cassures zen. Ils n'ont pas changé leur nature, ils l'ont juste laissé parler à un moment T, enfin plusieurs. Shores, dans son pèlerinage emprunte plus d'une fois les chemins de son aîné, mais le pas est plus tranquille peut être, puisqu'au bout du troisième album, on sait.
Ou on croit savoir.
Les influences latines sont toujours présentes ("Tio", magnifique et échappant à toute volonté de libellé), témoins d'autant de périples en terre étrangère, les accès de rage et de colère aussi, et structurellement, Shores respecte peu ou prou les schémas de Acid Mist, avec sa succession de morceaux longs, aux ambiances travaillées.
Découpé en huit mouvements, ce nouvel album ne surprendra pas les fans de la première heure, ceux qui comme moi ont découvert un jour Des Deux L'une Est L'autre, mais il leur permettra de continuer l'histoire en y retrouvant des personnages virtuels et musicaux qu'ils affectionnent. Ces guitares qui se noient constamment dans un flot d'humeurs inversées, parfois ascétiques et mélodiques, parfois emphatiques et destructrices, ce chant qui subit le même dilemme émotionnel, et cette rythmique unique, tandem soudé qui guide autant qu'il ne suit.
Certains morceaux pourraient d'ailleurs passer pour une continuité parfaite, comme ce "The Abstract Line" qui ressemble à s'y méprendre à des passages de "Acid Mist", et l'utilisation de ces lignes vocales en formes de samples qui animent les ondulations musicales pour les faire se rapprocher des oscillations cinématographiques, ou de la valse des mots romanesque.
Et comme d'habitude, sans parler de concept, le tout est concret et s'écoute comme on regarde un long métrage, ce que Shores est, sans conteste.
Un film en musique, une fois de plus, et si cette fois-ci les entrées ne sont pas découpées en chapitres numérotés, les transitions permettent de les rattacher entre elles, comme cette suite si logique "The Abstract Line"/"Sea Made Of Crosses", cohérente et accolée.
Progressif, Metal, Core, Industriel même parfois dans certaines répétitions, Shores Of The Abstract Line est tout ça, oui. Mais il est surtout une pièce musicale libre, comme un esprit. Le notre ou le leur, les deux. Si la frontière entre la folie et la lucidité absolue est mince, c'est un album qui se pose en équilibre, et qui observe, retranscrit, noircit des pages mais ne porte aucun jugement.
Aussi violent qu'il peut être doux, mais jamais complaisant, c'est un disque qui ne s'apprivoise pas, et qui se prend tel qu'il se présente.
Qu'il montre les dents ou caresse, parfois les deux en même temps comme lors de ce gigantesque final "Blind Man's Eye" qui parvient encore à nous étonner par ses trouvailles sonore inédites (ce chant plus caverneux que d'habitude, ces tics de guitare suraigus qui surprennent), Shores va plus loin, et atteint en quelque sorte une perfection dans l'exception. Puisqu'il faut bien le dire, HYPNO5E est une exception.
Une fois de plus, le traitement sonore est sans égal. Les fréquences sont poussées à leur maximum, les graves grondent et les aigus brillent, et si les samples font partie intégrante de la musique du groupe depuis ses débuts, de nouvelles trouvailles émaillent ce troisième album, permettant une écoute en forme de paysage qui se déroule sous nos oreilles.
Les harmonies sont en phase avec le passé, mais HYPNO5E reste avant tout un groupe tourné vers l'avenir. Et après tout, qui a dit qu'un artiste devait être en prise avec les affres du temps qui passe ?
Les années passent elles, mais ce groupe reste le même. Une somme d'individualités et de performances, d'identités et de rôles à jouer.
Shores Of The Abstract Line pourrait être l'horizon qu'on aperçoit au loin, lors de l'ultime étape d'un voyage qui n'existerait peut être que dans nos souvenirs. Un horizon qu'on regarde avec notre âme, notre coeur, nos yeux, et qu'on écoute aussi.
"Doucement, avec amour"
Ou violemment, d'une saine colère qui exècre la facilité.
Ajouté : Jeudi 03 Mars 2016 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Hypno5e Website Hits: 7828
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