BIG BRAVE (ca) - Au De La (2015)
Label : Southern Lord Records
Sortie du Scud : 18 septembre 2015
Pays : Canada
Genre : Noisy Post Rock Experimental
Type : Album
Playtime : 5 Titres - 46 Mins
Au De La... Au delà ? Eau de là ? L'Au Delà ? La question se pose, accompagnée par une musique étrange, onirique et pourtant intimement violente, aux percussions grondantes, aux rages de feedback vibrantes, et à la voix... envoûtante...
On peut se le demander, c'est légitime. Est ce encore une musique terrestre, ou ne serait elle pas l'écho d'un autre monde, proche du notre, comme un vortex, une déchirure...Une déchirure, c'est bien de ça dont il s'agit. Comme un passage déchiré entre deux arbres en plein milieu d'un pré aux couleurs apaisantes, donnant sur une dimension sombre, opaque, et source d'interrogations.
Qu'y trouverait on ?
A coup sur, les trois musiciens de BIG BRAVE, les instruments en main, en train de tisser une litanie sonore, faite de complaintes, de cris, de stridences, mais aussi de paix, d'accalmies virginales, de rêves sidéraux, en intégral...
BIG BRAVE nous vient du Canada, et sort aujourd'hui son deuxième album sur un label majeur, Southern Lords Records, gentilhommière de GOATSNAKE, POISON IDEA, EXCEL ou BURNING WITCH. C'est donc un gros pas en avant pour un trio qui auto-produisait ses œuvres et les distribuait sur son Bandcamp, mais c'est surtout la validation d'un travail de titan. Un travail d'inspiration, de respirations, en profondeur pour affiner les sons, les approches bruitistes, le décor noir et pourtant si lumineux.
Dualité, c'est le mot. Si la composante majeure reste cet inconfort dans lequel le groupe aime nous plonger, il n'en méprise pas moins les moments d'euphorie, et devient au final très difficile à décrire. C'est d'une puissance énorme, et pourtant, tout sauf du Metal. Il y a deux guitares pourtant, qui grondent, qui lacèrent, qui tonnent, et une batterie, qui martèle des à-coups tribaux, des rythmes découpés, des lignes brisées. Et puis, de temps à autres, quelques cordes habilement caressées par Jessica Moss, du Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra, comme un souffle qui ventile la moiteur ambiante.
Si Feral Verdure avait déjà placé les centres d'intérêt en bonne place, Au De Là les déconstruit, tout en respectant leur espace. Et l'espace, c'est justement ce que les trois canadiens maîtrisent le mieux. Car l'espace est intimement lié au temps, et leurs morceaux le prennent. Trois segments touchant ou dépassant les dix minutes, le temps de bien dégager les ambiances, et de faire monter la pression, qui grimpe sans jamais laisser le thermomètre exploser. La fournaise est en place dès l'entame, et brûle vos poumons comme un cancer musical incurable. Deux guitares, une batterie percussive, et surtout une voix. De celles qu'on oublie pas, qui utilise toute l'étendue de ses possibilités pour s'exprimer, plus que chanter. Robin Wattie se situe d'elle même dans un registre qui emprunte les sinuosités et écorchements de Yoko Ono, Diamanda Galas, Margaret Chardiet, et use de sa tessiture de soprano pour provoquer, irriter, faire trembler le silence... Si la musique se déforme parfois pour se muer en bruit blanc, les longues digressions se valident d'elles mêmes car elles sont expression aussi, et rappellent que la musique peut prendre bien des formes...
Si l'absence d'un bassiste ne se fait aucunement sentir, c'est grâce à la force du trio bien sur, mais aussi à la production sèche et abrasive d'Efrim Menuck (GODSPEED YOU BLACK EMPEROR), qui a su laisser le rendu des instruments en l'état, et ne pas trop empiler les couches sonores.
Loin du Drone ou du Noise pur et dur, BIG BRAVE est situé de fait dans un créneau Post Rock, expérimental de nature, mais cette classification reste très générique.
A l'écoute, il n'est pas interdit de se souvenir de certaines expérimentations des SWANS, de la seconde période, pour ces longues transes tribales qui s'installent et violent l'espace en vous plongeant dans une sorte de coma volontaire.
Mais parfois, les variations surprennent, et s'offrent un crescendo terriblement oppressant, comme sur ce "And As The Waters Go", qui rappelle vraiment une fusion entre ces mêmes SWANS et le Diamanda Galas de Saint Of The Pit.
On pourrait même avoir l'âme qui traîne du côté d'un Sludge à peine avoué lors de ce même morceau, mais comme je le disais, BIG BRAVE est au delà du Metal, et même au delà de tout. Et si Louis-Alexandre Beauregard se fige sur un tempo marqué et proche du Doom sur ce même titre, il est clair que la frontière qui sépare Au De Là de ce style si caractéristique est encore lointaine. Mais les analogies sont ce qu'elles sont...
C'est un album qui a sa place ici, de par le volume sonore qui émane des compositions, de par l'approche sauvage et cruelle, qui témoigne de quelques similitudes avec la scène Post Black atmosphérique, sans ce chant barbare remplacé par les volutes et les arabesques vocales de Robin, sorte d'Aria en négatif qui ne plane pas dans les cieux, mais va chercher dans la terre son essence.
La douleur est explicite, comme le démontre ce dernier morceau lourd et grondant, "Recollection Pt 2", qui fonctionne tel un mantra, et avance à pas éléphantesques, sans briser la porcelaine vocale. Dissonances, feedback, écho, tout est utilisé, tout devient musicalité ou non musicalité, mais on ne peut pas reprocher au groupe de maintenir le statu quo pour faire couler les minutes et gagner du temps. Tout est réfléchi, à sa place, un peu comme si NEUROSIS ou ISIS abandonnaient leurs distorsion et leurs samples pour s'adonner au plaisir du traitement austère et presque ascétique.
D'ailleurs les trois premiers morceaux forment une suite cohérente, même si "On The By And By The Thereon" susurre dans les oreilles à quel point l'héritage d'EINSTURZENDE NEUBAUTEN est important encore de nos jours. "Do No Harm Do No Wrong" le suit d'ailleurs de près dans son traitement, même si les couches de guitares empilées comme de vieilles lames de rasoir rouillées sont plus dangereuses.
Mais tout l'album est cohérent et forme un tout. Il valide l'importance que prend BIG BRAVE de par son audace et ses certitudes, mais se présente aussi comme un bloc de sensations qu'on supporte sur nos épaules, et qui finalement nous libère d'une contrainte. Tour à tour expérimental, évident, lancinant, distordu, c'est un reflet de notre monde, au travers d'un prisme personnel, ce prisme justement que vous verrez en franchissant la déchirure entre ces deux arbres.
Et pour ça, deux guitares, une batterie, et une voix.
C'est une réalité différente de la notre, mais qui a dit que notre monde était le seul à exister ?
Ajouté : Vendredi 09 Octobre 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Big Brave Website Hits: 6500
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