RESURRECTURIS (it) - Nazienda (2015)
Label : Mighty Music
Sortie du Scud : 25 septembre 2015
Pays : Italie
Genre : Experimental Death Metal
Type : Album
Playtime : 11 Titres - 37 Mins
Un quintette italien signé sur un label danois, déjà, c'est étrange. Un quintette italien qui existe depuis 1990 et qui ne sort aujourd'hui que son quatrième album, c'est encore plus étrange. Un quintette italien qui se réclame d'un Death d'avant-garde, et qui finalement échappe à toute classification, c'est de plus en plus étrange.
Bienvenue dans le monde des RESURRECTURIS, qui vu de l'extérieur pourraient sembler échappés d'un asile, mais qui au contraire, sont bien ancrés dans une réalité qu'ils... refusent.
Rien n'est simple avec eux. En tant que fan, chacun se doit d'être très patient et d'attendre leurs albums d'année en année. En tant que journaliste, leur musique est complexe, riche, et difficile à aborder. Mais c'est ce qui fait leur charme, et celui ci est plus qu'envoûtant.
Au début des 90's, Carlos Strappa tient un zine, Lethal Metal Zine, mais veut vivre de la musique et cherche à former un groupe. Il finit par y parvenir, et de 1995 à 1997, RESURRECTURIS sort trois démos complètement cultes qui adhèrent à sa cause un gros following dans l'underground.
Depuis, trois albums sont venus enrichir la carrière du groupe, Nocturnal en 1998, The Cuckoo Clocks Of Hell en 2004, puis Non Voglio Morire en 2008 (d'ailleurs toujours disponible gratuitement sur leur site!). Vous le constaterez vous même, Nazienda intervient plus de sept ans après son prédécesseur, ce qui fait des italiens un des groupes les moins productifs au monde.
Mais ce qui fait aussi de chacun de leurs albums une pièce rare, qu'on écoute attentivement, qu'on dissèque, qu'on interprète, et surtout, qu'on apprécie de la première seconde à la dernière. Car elles sont patiemment élaborées, avec passion, et ne contiennent que des idées motrices, comme c'est encore une fois de plus le cas ici. Death, le terme est certes un peu "facile" dans son utilisation, tant la musique s'en éloigne de plus en plus. On ne trouve plus que quelques éléments rattachant l'identité des italiens à cette forme d'expression extrême, mais même si leur musique est devenue plus abordable dans le fond, la forme à tendance à devenir de plus en plus alambiquée, alors qu'ils se complaisent à décrire... la normalité.
Le titre ? Un néologisme, une contraction, celle effectuée en croisant les mots "Nazism" et "Azienda", "entreprise" en italien. Simple, cette dénomination - et son extension musicale - se plaisent à décrire l'horreur de la banalité d'un quotidien que beaucoup d'entre nous supportent, plus qu'ils ne le vivent, et Nazienda de dépeindre en détail les étapes d'une routine de plus en plus pesante.
Chaque piste démarre par une heure précise, correspondant à toutes les étapes d'une journée de travail, et RESURRECTURIS à formidablement mis en musique tous ces moments plus ou moins agréables ou désagréables, et le travail effectué est tout simplement bluffant de vérité. Je n'ai que très rarement entendu concept album aussi parfaitement mis en forme, et je suis ressorti de cette écoute troublé, mais aussi enthousiasmé et pantois d'admiration, n'ayons pas peur des mots. Ce quatrième album, bien qu'assez difficile d'accès, puisque évoluant d'influences à la PINK FLOYD/ARCHIVE par moments, jusqu'à des halètements Néo Death suffocants, en passant par des atmosphères à la PARADISE LOST, tout en citant l'Indie, la Néo Pop alternative, est une mine de références et de clins d'oeil qui finissent par retranscrire une identité réelle et concrète, comme un prisme dont chaque facette renverrait un morceau d'image qu'il convient de compléter.
Une journée type donc, et celle ci commence juste avant la sonnerie du réveil, lorsque les cheveux de votre femme caressent encore votre poitrine, à 6h29 exactement. "06:29 Sleeping With Your Hair Spread Over My Chest" est une bien curieuse entame pour un groupe extrême, avec cette guitare douce en écho, ce chant encore un peu endormi, et cette mélodie douce amère, qui rappelle autant le FLOYD qu'ARCHIVE, et toute la vague Indie Progressive/Hop des années 2000. Superbe intro qui place d'entrée l'esprit au coeur du débat, Esprit d'ailleurs vite électrisé par la sonnerie de l'alarme ("06:30 The Alarm"), qui incarne la douloureuse sonnerie du réveil avec quelques beats électro grondants, bientôt striés d'une guitare dissonante. Morceau illustré d'ailleurs par une vidéo très réussie.
Le premier gros morceau, "07:12 On The Way To Work" aborde enfin le virage Metal que l'on attendait, mais une fois de plus, l'approche est biaisée, le chant traité, et les riffs pas vraiment francs, tout comme la rythmique qui hésite entre frappe franche et cassures nettes. Une fois le refrain arrivé, on pense Grunge et Alternatif, avec une touche du PARADISE LOST post Draconian Times, et l'effet est maximal.
"08:01" The Number You Have Dialed" renoue légèrement avec la brutalité, dans une veine plus Néocore, avant de laisser les harmonies reprendre leurs droits, et encore une fois, même dans la brutalité, RESURRECTURIS flirte à peine avec le Death, et lorsqu'il s'y adonne, c'est avec des réserves et une hybridation. Samples de conversations, chaos, bruitages de téléphone, tout est là pour mettre dans l'ambiance d'une arrivée sur le lieu du travail, avec le cortège de contrariétés qui l'accompagnent.
"10:30 Animals In The Meeting Room" de part son Thrash bourrasque et ses blasts violents matérialise ces réunions qui n'en finissent pas, ou chacun parle plus fort que son voisin. Tout y passe, Néo Thrash, Néo Death, Metalcore moderne, et sa violence inhérente. On s'y croirait presque... Vocalement, le travail est impeccable, et le chanteur se glisse dans la peau des personnages avec flair, avant de laisser un break s'envoler, et de compléter cette construction à tiroir... de bureau.
"13:00 Luch-Break Alienation" est une pure merveille en soi. Qui n'a pas vécu ces repas de boulot chiants, ou tout le monde y va de sa petite narration navrante ? Si tel est le cas, et je n'en doute pas, vous replongerez directement dans cette ambiance morne grâce à ce morceau qui se laisse plomber par son riff quasi unique, traîné des pieds par un tempo lourd et lent. Cris, chuchotements, brutales percussions rythmiques, tout est là pour évoquer ce pénible rituel, jusqu'au cathartique hurlement final.
Sans aller jusqu'à égrener l'album jusqu'à son terme, alors qu'il mériterait amplement cette distinction, vous pouvez sans arrière pensée vous jeter sur l'énergique et presque hystériquement Rock "16:00 Never Happy", vous passerez évidemment par "16:59 The Thought That Something Went Wrong With My Life", qui laisse un employé lassé et harassé expliquer au téléphone une situation inextricable à un tiers sur fond de piano mineur et triste, et vous finirez obligatoirement par la sombre clôture "23:31 Falling Asleep On The Couch" et son Metal nostalgique, traînant et mélodique, aux confins du Doom, du Grunge et du néo Folk. Quelle autre impression après avoir enduré une autre journée sans intérêt ? Introspection, questions sans réponses. Voilà, vous pouvez dormir, tout recommence demain.
Avec ce quatrième album, les italiens de RESURRECTURIS atteignent une apogée créative, et il n'est pas difficile de comprendre pourquoi tant d'années ont été nécessaires à sa réalisation. C'est un album qui donne énormément, qui demande des efforts d'approche, mais qui s'avère d'une richesse de textures, de sons, d'idées incroyables, de bout en bout, et qui illustre d'une façon incroyablement réaliste son propos.
Bien que basé sur la dure morosité d'une journée comme une autre, il n'est rien de moins qu'une épiphanie musicale concrète, qu'on écoute et qu'on (re)découvre à chaque fois, et se place de fait dans la catégorie très restreinte des albums essentiels.
Un concept simple mais parlant, une musique adaptée et luxuriante, des effets toujours bien trouvés et placés, c'est une révélation, et elle est juste là, sous vos oreilles.
Prêts à affronter une autre journée ? Le réveil va justement sonner.
Bon courage.
Ajouté : Mardi 29 Septembre 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Resurrecturis Website Hits: 7024
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