IRREVERSIBLE (usa) - Irreversible (2015)
Label : Auto-Production
Sortie du Scud : 20 avril 2015
Pays : Etats-Unis
Genre : Atmospheric Post Metal
Type : Album
Playtime : 9 Titres - 44 Mins
Quand on se revendique Post quoi que ce soit, Atmospheric Sludge, Alternative Shoegaze, il vaut mieux avoir quelque chose à dire de pertinent pour être pris au sérieux. Les divagations bavardes et pleines de vide étant légion dans ces univers là, on a souvent le sentiment d'être pris pour un imbécile qui doit se sentir honoré d'écouter la même note répétée à l'infini.
La musique est certes une forme d'expression, mais comme toute forme d'expression justement, elle doit avoir un but, exprimer un sentiment profond, ou léger peu importe, mais en tout cas, elle doit nous dire quelque chose, nous emmener quelque part, pour peu qu'elle refuse les conventions, et les formats préfabriqués.
Comme je l'ai déjà prouvé dans mes choix, j'aime l'expérimentation. Je ne déteste au contraire rien de plus qu'un artiste qui respecte les codes, qui se contente de choses déjà faisandées avant même d'être sorties du frigo, et qui vous donnent le sentiment d'avoir été réchauffées des milliers de fois.
Par contre, lorsqu'un artiste expérimente, tente des choses difficiles (je ne parle pas forcément là d'Avant-garde...), et même s'il se plante, je peux être séduit, satisfait, un peu frustré devant la maladresse, mais heureux de voir qu'au moins, il a tenté quelque chose...
Sous cette pochette embrumée et d'un noir et blanc glacé, se cache un album qui justement essaie.
Un album signé d'un groupe qui ne se contente pas de répéter ad nauseam la même note collée sur le même tempo, qui ne se réduit pas à de longues pseudo ambiances qui ne provoquent aucune réaction, histoire de remplir quarante cinq minutes de musique sans jamais savoir ce qu'il veut dire.
Je ne connaissais pas IRREVERSIBLE, je les ai découverts au travers de cet album éponyme avant de réaliser qu'ils n'en étaient pas à leur coup d'essai, loin de là... Ces américains nous venant d'Atlanta ont déjà un parcours chargé derrière eux, et font visiblement référence dans leur genre. Ce que, à l'écoute d'Irreversible, je comprends parfaitement. Formé en 2005, IRREVERSIBLE n'a eu de cesse d'agiter sa Georgie d'asile de ses soubresauts Post Hardcore teintés de Sludge atmosphérique. Le mélange est d'usage, mais le rendu dans ce cas précis est assez impressionnant.
A l'image de sa pochette, Irreversible évolue dans des tonalités grises, un peu industrielles dans l'ambiance mais pas dans l'exécution, et se déploie sur toute sa longueur au gré de morceaux qui alternent les progressions étouffantes, et les courts segments plus concentrés. On pense inévitablement à NEUROSIS, un NEUROSIS maladif, rachitique, et relativement déprimé. Bien sur, le nom de CULT OF LUNA vient aussi à l'esprit, mais ils n'ont jamais sonné aussi résignés que ce quatuor.
Une image m'est venue en tête à l'écoute de ce dernier album, qui fait suite à un nombre conséquent de sorties (Irreversible est le quatrième album en huit ans, sans compter les EPs). J'ai eu le sentiment d'écouter les échanges personnels de COL justement, dans un jour très sombre, avec le GODFLESH le plus froid et le plus torturé ("Mandatory Death", sans illusions, sans porte de sortie, sans traitement aux anxiolytiques)... Le parallèle est certes osé, mais pas tant que ça...
Chaque piste de cet album se doit d'être là, puisqu'elle fait partie d'une logique implacable, mais elle se doivent aussi de respirer par elles mêmes, et à ce petit jeu là, les descriptions les plus longues sont évidemment celles qu'on remarque le plus.
Avec un son touffu mais diffus, qui donne à l'ensemble un monochrome très esthétique, l'aventure se transforme en périple dans le brouillard des villes, à la recherche d'une humanité qui n'existe peut être déjà plus.
Pour illustrer tout ça, le groupe n'hésite pas à mélanger la froideur et la mélancolie amère du Post Metal, emprunte qu'on retrouve un peu partout sur le disque, aligne des affirmations Sludge pour bien mettre l'emphase sur la difficulté de leur quête, et parfois s'amuse à mélanger les deux au sein d'une même chanson. "Fade", la dernière longue litanie de l'album le prouve à merveille, et développe sur plus de huit minutes une description de l'absurde à grands coups de riffs retenus, de chant mixé en complet arrière plan, qui sonne comme une complainte ne rencontrant pas d'écho, et de rythmique lourde comme le pas d'hommes perdus dans une cité dévastée.
Irreversible est construit comme une lente progression. Après une longue intro scandée d'un ton extrêmement sentencieux "Undertow" dévoile les intentions du quartette, et brise la rythmique, évoquant non seulement TOOL de par l'emprunt de son titre, mais aussi par ce son décalé, très sombre et sourd, et ces mélodies étranges et presque pleurées par les instruments...
Et alors que "Language Of Paralysis" n'évolue qu'autour de quelques notes harmonieuses couchées sur un tapis d'arrangements, le premier choc intervient d'une façon abrupte, et "Absent Help" et ses guitares distordues à l'extrême reprend à son compte les interprétations obscures d'ISIS et progresse tout au long de ses dix minutes sur le même pas, sans dévier, avant qu'une outro un peu joyeuse ne vienne stopper la marche.
Le périple se poursuit donc jusqu'au traumatique "Fade", qui assombrit encore plus les espoirs déçus, et "Stele Of Revealing" clôt l'histoire comme elle avait commencé, dans un magma d'électronique à peine dérangé par une voix lointaine qui égrène un discours, souligné par une acoustique discrète et quelques bandes inversées noyées dans le mixage.
Il est évident que cet album pourra vous laisser de marbre, vous pourrez rester complètement hermétique à tout ça, mais ce que je retient de cette affaire, c'est qu'IRREVERSIBLE a tenté quelque chose, ne s'est pas contenté de rester lui même, et a emprunté des chemins de traverse pour atteindre son but. C'est certes d'une nature assez formelle, mais constellée de recherches personnelles, et ça, c'est une preuve des aspirations artistiques de musiciens qui ne restent pas collés à la normalité.
Et pour résumer, c'est à l'image de sa pochette.
Etrange, perturbant, esthétique et énigmatique.
Mais beau aussi, car aussi cruelle soit l'existence, elle réserve toujours des moments de poésie qu'il faut savoir reconnaître avant qu'ils ne disparaissent dans le néant.
Ajouté : Jeudi 10 Septembre 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Irreversible Website Hits: 5230
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