GODFLESH (uk) - A World Lit Only By Fire (2014)
Label : Avalanche Recordings
Sortie du Scud : 7 octobre 2014
Pays : Angleterre
Genre : Industriel
Type : Album
Playtime : 10 Titres - 54 Mins
Tout a commencé avec une simple annonce dans les médias. Lâchée comme ça, presque comme une anecdote. Puis ont suivi des concerts, pas toujours en place, pas toujours très bons, parfois même calamiteux. Et soudain, un titre, "Ringer" est apparu de nulle part. Un titre fort, rassurant. Comme un signe de la main adressé au loin, mais bien tangible.
Et puis, quelques temps après, un EP. au mois de mai dernier. Une mise en jambes, excellente, terrifiante aussi, qui entérinait tous les signes précédents comme un début de preuve indéniable.
Quatre morceaux offerts en pâture aux fans qui n'en pouvaient plus d'attendre. Ils parlaient d'un album, qui allait bientôt voir le jour. On y croyait bien sur, mais quelle allait être l'attente ? Des semaines ? Des mois, des années ? Et puis au final, peut être rien ?
Et pourtant si, ce qui prouve que ces deux la ont une parole. Parole qu'ils distillent pourtant avec parcimonie, préférant laisser parler la musique. Et la musique a parlé. Elle a parlé aujourd'hui, sous la forme d'un LP à la pochette sobre, mais superbe. Et son leitmotiv emprunté à l'écrivain/historien américain William Manchester, A World Lit Only By Fire en dit long bien avant l'écoute sur les intentions de ses concepteurs. Le monde va mal, très mal, et comme à chaque témoignage fataliste, les oiseaux de mauvaise augure, aussi clairvoyants que complaisants reviennent.
Et cette fois-ci, c'est fait. GODFLESH est revenu. Pour le meilleur, et surtout pour le pire. Mais dans leur cas, les deux se confondent, et souvent le pire redevient le meilleur.
"It's certainly more like Streetcleaner than Hymns". C'est Justin Broadrick qui le dit lui même. Et impossible de le contredire. Même si ça semblait impossible, même si le séminal premier effort du duo Broadrick/Green semblait inégalable, il vient d'être égalé. Par ce nouvel album, qu'on espérait depuis quatre ans, A World Lit Only By Fire.
Tout est là. Cette basse si ample que les murs se reculent d'eux mêmes pour lui laisser la place suffisante. Cette guitare grave, presque autant que la basse d'ailleurs, qui cisaille des riffs lourds, tronçonne des interventions stridentes, ou se tait, c'est selon. Cette voix, plus écorchée qu'avant, que les années ont rendue encore plus inquiétante, et qui psalmodie, qui vitupère, avant de se taire. Pour un moment. Et cette rythmique, monolithique, souvent linéaire, synthétique, martiale. Je le disais, tout est là, comme il y a vingt cinq ans déjà, quand "Christbait Rising", "Like Rats" ou "Mighty Trust Krusher" nous laminaient les tympans et l'âme comme un rasoir brillant.
Non que la suite de la discographie de GODFLESH fut anecdotique, ce que je n'essaie pas de démontrer tant cette affirmation serait ridicule, mais pour beaucoup, dont moi, Streetcleaner restait LE chef d'oeuvre de Justin et G.C. Green.
Mais pour en arriver là, il fallait déjà trouver le son, la composante majeure du duo. Et A World Lit Only By Fire a peut être bénéficié de la production la plus massive de l'histoire du groupe. Elle est énorme, compacte, équilibrée à merveille, et sert des compositions qui avaient besoin d'un écrin sur mesure pour donner toute leur amplitude. Et celle ci aussi, est énorme.
Tout commence par un monstre, à la basse lancinante, à la rythmique qui avance, écrase et ne s'arrête qu'en de très rares instants. "New Dark Ages" n'est rien d'autre qu'un avertissement lancé par Broadrick pour bien nous faire réaliser que l'époque à laquelle nous vivons n'est qu'un brasier prêt à s'enflammer au moindre coup de vent. Le même genre de choc frontal qu'il nous opposait en 1989, avec son "Like Rats" nihiliste et sombre comme les égouts de la civilisation.
Et tout s'achève dans le chaos, en forme de pénitence, de demande de pardon. "Forgive Our Fathers" est plus qu'une simple conclusion, c'est un regard lucide jeté sur le passé qui noircit l'avenir et le transforme en trou béant. En choisissant l'option quasi instrumentale, le duo préfère une fois de plus laisser les mots les plus importants se matérialiser par des notes, choisies, éparses, et par une structure longue, oppressante, comme un dernier souffle qui s'éteint dans la nuit.
Entre temps, et pendant ce voyage initiatique, nous serons passé par toutes les émotions possibles. La colère brute et directe ("Shut Me Down" et son groove collant et moite, mené par une basse boursouflée, "Curse Us All" à la guitare tendue et la rythmique prête à lâcher), les insinuations sinueuses et vénéneuses ("Obeyed", au chant hurlé à pleins poumons et aux dissonances/larsens renvoyant à l'histoire du genre, voire même à la légendaire démo de NAPALM Hatred Surge, "Life Giver, Life Taker" au chant aussi lointain qu'une plainte longtemps larvée, un des rares morceaux à présenter un embryon de mélodie maladive), à l'impatience des questions sans réponses ("Carrion" qui se développe tout en stress montant comme une migraine), à la progression en forme de fuite en avant destinée à raser le présent ("Imperator " et son duo basse/guitare tout en mimétisme, et ses vocaux ironiques et détachés)...
Présenté comme un tout, l'album est un bloc. Un état des lieux en forme de prise de conscience tardive qui vous plombe et vous entraîne dans les profondeurs de la bêtise humaine. D'une description plus prosaïque, c'est un retour aux sources musical, qui ne se répète pas, mais va chercher dans la mémoire individuelle et collective les meilleurs éléments de son passé, pour les tourner vers l'avenir. Et Justin a raison en affirmant que A World Lit Only By Fire se rapproche beaucoup plus de la jeunesse de GODFLESH que de ses dernières années. On sent à chaque inflexion le souffle brûlant de Streetcleaner, qui rendait ce disque aussi essentiel et dangereux. Le son des années 2010 a apporté une touche nouvelle à ce regard torve que portaient Broadrick et Green à leur époque il y a vingt cinq ans. Le regard n'a pas changé, la façon de le traduire en sons non plus, mais le désespoir s'est encore plus renforcé, tant philosophiquement que musicalement.
Plus qu'un retour, ce nouvel album est un achèvement en soi. Il n'y a rien à occulter, rien à mettre de côté, tout est de premier choix. C'est la validation d'une attente qu'on craignait inutile, la concrétisation de toutes ces années de silence occupées à chercher une nouvelle voie. Pour finalement s'apercevoir que rien n'avait changé.
Alors oui, pour beaucoup, A World Lit Only By Fire n'aura aucun intérêt. Il ne sera rien de plus qu'une sortie envahissante accompagnée de beaucoup de tapage sur le calendrier déjà chargé de l'année. Pour les autres dont je fais évidemment partie, c'est une réponse qu'on attendait plus. Et de fait, en toute subjectivité bien sur, il pourrait être le plus grand et le plus beau comeback de l'histoire du Metal.
Emouvant, mais cru et impassible.
Ajouté : Vendredi 30 Janvier 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Godflesh Website Hits: 5972
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