HATEFUL ABANDON (uk) - Liars/Bastards (2014)
Label : Todestrieb Records
Sortie du Scud : 31 mars 2014
Pays : Angleterre
Genre : Anarcho Industriel
Type : Album
Playtime : 7 Titres - 43 Mins
"C'est assez étrange de s'asseoir et d'essayer d'enregistrer un album de Black Metal, et de réaliser que ce qui sort des enceintes n'en est pas du tout. Ajoute à ça cette épidémie de "copier/coller" du Black qui a envahi les chambres des branleurs chaque jour, et au final, tu deviens une personne relativement frustrée. Hateful Abandon et tout ce que je ferai à l'avenir sera juste de la musique. Pas du Black ou même du Métal, juste de la musique"
Ces mots extraits d'une interview de Vice Martyr en 2006 posent un constat intéressant. En tant que critiques, il est vrai que nous avons souvent l'habitude de ranger les groupes dans de petites cases. Non pour les ramener à une condition "d'objet" ou de "produit", mais pour pouvoir cibler un public qui saura se retrouver dans leur musique. Inutile en effet de recommander un groupe de Hard Pop à un fan d'Indie, ou un ensemble progressif à un maniaque de Hard Bluesy. Mais il est aussi parfois difficile de décrire la musique avec des mots. Difficile de faire comprendre à l'auditeur ce qu'il va se mettre entre les oreilles, alors, les qualificatifs sont d'une grande aide. Même si je comprends qu'ils soient frustrant pour un musicien de se voir affubler d'un style qu'il n'a pas forcément revendiqué.
Et dans le cas de HATEFUL ABANDON, la tâche est ardue. Alors je vais essayer de trouver les mots justes.
HATEFUL nous vient de Bristol, une ville pas particulièrement gaie. Tout comme ne l'étaient pas le Liverpool des années 50 ou le Birmingham des années 80. Sans aller jusqu'à parler de Detroit, ce sont des villes ternes, ou l'espoir est en berne. Alors il n'est pas difficile de comprendre que lorsqu'on essaie de traduire en musique l'ambiance qui règne dans ces cités, le résultat soit plus proche de la complainte désespérée que de l'ode à la joie de vivre. En 2003 de fait, s'y forme un groupe emblématique, au nom prédestiné, ABANDON. Formé par Vintyr ou Vice Martyr selon votre préférence, ce one man band évoluait alors dans les eaux sombres et troubles d'un Black dépressif, jusqu'à cette fameuse déclaration de 2006, dans laquelle son leader témoignait de sa perte de foi dans les classifications. Le groupe qui dès lors n'avait plus lieu d'être, opéra un revirement total, rallongea son patronyme en HATEFUL ABANDON, et abandonna les effluves du Metal noir pour le parfum tout aussi toxique du Post Rock à tendance Indus des années 80. Un premier LP sortit en 2008, Famine, révélateur de ces nouveaux choix, suivi de Move en 2011.
Aujourd'hui, Vice Martyr nous revient avec Tom du groupe Swine aux percussions et autres instruments, et a contrario de ses deux prédécesseurs, Liars/Bastards ne contient plus aucun élément faisant référence au Black, genre définitivement rangé au placard pour assumer pleinement les racines 80's qui sont ici modernisées tout en gardant leur saveur d'origine.
Pour vous donner une idée de ce qui vous attend, essayez d'imaginer une vieille zone industrielle abandonnée, constellée de détritus, de machines hors d'usage, striée de tags en tout genre, dans laquelle se donneraient rendez vous le Jaz Coleman du KILLING JOKE des early 80's, Peter Murphy de BAUHAUS, le jeune Justin Broadrick des premières démos de NAPALM, et tendez l'oreille pour entendre la musique qu'ils seraient capables de produire. Ce que vous pourriez entendre ne serait pas très éloigné de la musique gravée dans les sillons de Liars/Bastards.
Quelque chose d'assurément sombre, et pourtant, porteur d'un espoir indéniable. Des torrents de bile en boucle, que viennent bloquer de temps à autres des barrages de mélodies discrètes.
Si je me permettais de citer Justin Broadrick, c'est parce que le parallèle m'a semblé évident entre le premier morceau de ce LP, "Maze of Bastards" et certains titres de la légendaire démo Hatred Surge, parue il y a presque trente ans. Même voix écorchée vive, même ambiance sourde et grondante, même rythmique barbare et hypnotique. L'Anarcho Post Punk dans toute son amplitude noire, redondant, puissant, avec la production sans tâche des années 2000 lui conférant une autorité inquiétante tout en préservant sa sécheresse.
Le synthétique "Culprit" quant à lui, ramène à la vie le spectre du KILLING JOKE le plus tendu. Ses nappes de clavier constamment lacérées de riffs flous, sur lesquelles évolue un chant nuancé, parfois apaisé, laissant soudain place à des harmonies douces sur fond d'arrangements venteux est le plus bel hommage qu'on puisse rendre à cette tendance née il y a longtemps, qui croisait la New Wave la plus absolue avec le Punk le plus dru.
L'opposition en terme de traitement de ces deux titres est d'ailleurs symptomatique de la démarche globale du disque. Ainsi, se succèdent pendant plus de quarante minutes des morceaux rudes et âpres ("High Rise", son intro grandiloquente et ses circonvolutions rythmiques sur fond de chant à la Peter Murphy, "The Walker", incantatoire, dédale de basse, d'arrangements métalliques froids et de litanies vocales hantées, "There Will Never Be Peace", au titre évocateur, monstre de violence larvée, empilant les strates de bruits blancs comme un EINSTURZENDE NEUBAUTEN perturbé par un cauchemar SWANS), et instants de pureté délicate, comme le prouve ce "The Test", qu'aurait pu écrire un Robert Smith pré Pornography, avant que ses démons ne l'enterrent au fin fond des locaux de Fiction Records.
Mid tempo glacial, tissu sonore brillant, et intonations vocales à la limite du mimétisme, on pourrait croire ce morceau issu des séances de Faith, mais c'est bien un original...
Mais le symbole ultime de cet album est bien sur le long final "December" qui incarne à la perfection l'ambivalence du duo, oscillant constamment entre violence revendiquée et menace larvée prête à exploser. Sur plus de dix minutes, ce morceau se paie le luxe d'offrir deux visages différents et complémentaires, sans paraître heurté ou assemblé à la hâte. Sa première moitié n'est rien d'autre qu'une relecture de luxe du KILLING JOKE de la fin des 80's, avec cette batterie tribale, ce chant profond et grave, et cette régularité métronomique et digitale qui définissait si bien l'optique de Coleman et des siens. Puis, en son milieu, la ligne se brise, et seule une mélodie aux doux accents nostalgiques subsiste, agitée de couches de guitares et de percussions éparses, peignant un paysage désolé sous un soleil timide, un peu à la manière de CURRENT 93. Fin de l'histoire.
Cette fois-ci, HATEFUL ABANDON, haineusement ou pas, à vraiment laissé de côté toute velléité Black qu'on retrouvait encore un peu par touches éparses sur ses deux albums précédents. Il n'est question ici que de Post Punk proche des racines du genre, de Post Wave, d'Indus par moments, et le mélange produit un résultat aussi sombre que jubilatoire.
Vice laisse vraiment ses ambiances se développer, n'hésite pas a étirer les motifs pour mieux nous hypnotiser, et nous laisse admiratifs quant à ses aptitudes à s'inspirer des plus grands noms pour produire une musique neuve, et passionnante.
Et surtout, hors du temps.
Ajouté : Mercredi 28 Janvier 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Hateful Abandon Website Hits: 5762
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