"Qui lui ? Ouais, il est sympa c'est vrai... Il fait bien son taf, il est intègre, mais bon... C'est pas non plus un cador faut le reconnaître ! Si jusqu'à présent ça passait, c'est qu'il était bien entouré, faut l'admettre non ? Parce qu'OK, il a une bonne tête mais quand il bosse tout seul, il fait pas des étincelles non plus..."

Discussion de comptoir ? A la machine à café au boulot ? C'est possible. Mais si j'ai choisi de placer le débat sous les auspices de la sincérité, ça n'est pas par hasard ou par amour de la formule. Si le monde du travail a toujours ignoré avec grand soin le sens des mots "honnêteté" et "sincérité", il n'en va pas de même - je l'espère - dans les sphères de l'amitié privée. Et souvent, la musique est une affaire d'amitié, d'admiration, voire de sympathie, rien de plus. Et dans le cas de ce premier album de NEWSTED, ces concepts sont à prendre en compte, mais avec des pincettes.
Jason Newsted, c'est un peu le Ringo Starr des temps modernes. Passionné par la musique, il s'est retrouvé catapulté du statut de jeune bassiste prometteur évoluant dans un groupe de seconde division (mais excellent), à moitié de la rythmique du plus grand groupe de Metal du monde, alors en devenir le jour où il a rejoint leurs rangs. En guise de baptême du feu, un EP culte, puis un album légendaire, une tournée au Japon, en France, et puis l'explosion, la gloire, mais aussi la condescendance de la part de ses nouveaux amis, un mépris à peine déguisé de son talent de compositeur, et l'affection indéfectible des fans. Oui, Jason, nous t'aimons pour ton côté sans concession, pour avoir eu les couilles de te barrer d'un groupe que tu ne respectais plus, pour monter des side projects improbables, pour participer à des renaissance jouissives, et surtout, parce que tu es toi même, tu ne joues jamais un rôle, et puis...Tu aimes le Metal, et tu le dis bien haut.

Las. Si la comparaison avec Ringo Starr trouve sa place ici, c'est que comme lui, tu as été une assise rythmique unique, presque toujours laissée dans l'ombre, dans un groupe mythique. Et qu'une fois la belle histoire finie, tu t'es lancé en solo, et que nous y avons cru, au début. ECHOBRAIN, c'était sympa. Rien de fulgurant, mais sympa. Ta participation à VOÏVOD les a relancés, OK. WHOCARES, c'est rigolo, une private joke. Mais après toutes ces années à clamer que tu avais trop longtemps été ignoré, que ta voix avait été sous estimée, et que tes compositions avaient sciemment été laissées au placard, nous attendions beaucoup de toi. Tu t'es vendu indirectement sur des arguments impossibles à vérifier, alors nous attendions la preuve de tes qualités musicales, aperçues sur le séminal et indispensable Doosmday For The Deceiver. Mais c'était il y a presque trente ans... Et aujourd'hui ?

Aujourd'hui, c'est Heavy Metal Music qui est censé nous amener sur un plateau les preuves de tes dires, en solitaire. Tu t'es constitué un joli backing band, tu nous offres 14 titres, un intitulé en forme de leitmotiv, mais il y a quelque chose qui cloche dans tout ça... Le son est bon, épais, gras mais suffisamment clair pour qu'on saisisse toutes les subtilités de tes compositions, c'est très bien joué, avec conviction, et c'est bien du Heavy, à n'en point douter. Donc, tout devrait coller. Mais non, désolé.

Et tu sais pourquoi ? Je vais te le dire.

Tes compos Jason. Voilà ce qui ne va pas. Jouer du Heavy pur et dur, c'est une chose, le jouer avec le coeur, par passion aussi, mais il y a un fossé énorme entre le Heavy de base pour se défoncer et le vrai Heavy, inventif, celui qu'on réécoute parce qu'il est bâti sur des riffs d'acier, entêtants, des refrains fédérateurs, une énergie contaminante. Et le problème avec ton Heavy Metal Music, c'est que même après une bonne dizaine d'écoutes, on n'y arrive pas. On essaie, on se concentre, on tente de choper le truc passé inaperçu, mais non, il n'y en a pas.
Tout commençait plutôt bien pourtant. "Heroic Dose", c'est tout bon. Mid tempo assassin, guitares ténues, pas de problème.
"Soldierhead", très MOTÖRHEAD, aux doux relents de "Hammerhead" de ton groupe fétiche FLOTSAM AND JETSAM, ça aussi ça laissait augurer du meilleur. Et puis... Le trou. Plus rien, ou si peu. A peine un "Kindevillusion" groovy, et encore, avec beaucoup d'abnégation.
Ok, tu te réclames de tes trois combos fétiches. METALLICA, MOTÖRHEAD et BLACK SABBATH, pas de soucis. Mais encore eut il fallu avoir appris deux trois trucs sur ces groupes. S'ils se sont inscrits sur la durée et dans la légende, c'est qu'ils savaient composer des trucs qui tuaient, des morceaux construits. Ils ne se contentaient pas d'un gros son, de gros riffs basiques et d'une attitude! Si James est devenu un des plus grands frontman et chanteur du Metal, c'est parce qu'il a une voix, et un jeu de guitare uniques ! Si Toni reste la plus grande référence de tous les gratteux de Heavy du monde, c'est parce qu'il sortait de sa guitare des plans déments, qui s'incrustaient dans ta tête, pour ne jamais en ressortir ! Et si Lemmy est toujours là, quarante ans après, c'est parce qu'un jour, il nous a balancé dans la gueule "Overkill", "Ace Of Spades", "Bomber", et des dizaines dans le même style...

Ta voix déjà, Jason. Tu te plaignais d'être un laissé pour compte du micro dans METALLICA. A l'écoute de ton album, je comprends pourquoi tu n'as jamais fait que des choeurs... Ton chant est poussif, pas toujours juste, et surtout, monocorde au possible ! A tel point que certains morceaux ressemblent à des resucées analogiques de Rob Zombie !
Alors, le manque de riffs mémorables, des compos trop longues et bâties sur pas grand chose, un organe de tête faiblard et des soli complètement anecdotiques et à peine digne d'un Punk découvrant les pentatoniques, ça fait beaucoup.
Mais rassure toi, ton disque n'est pas mauvais, et beaucoup y trouveront leur compte je pense. Mais il est pire que mauvais, il est "moyen". Le genre de disque qu'on écoute d'une oreille distraite, ou par sympathie, parce que tu es Jason Newsted. Et si tu ne te reprends pas très vite, nous allons finir par croire que Jason est en effet un mec sympa, à la réputation sans tâche, mais au talent mesuré. Et que si James et Lars t'ont toujours considéré comme un bassiste capable mais rien de plus, ils avaient raison. Après tout, seul "Heroic Dose" aurait tenu la comparaison sur un album de tes anciens potes. C'est peu.

C'est parce que je t'aime beaucoup Jason que mes mots sont durs aujourd'hui. Et j'ai jugé ta musique avec honnêteté et respect, ce que tu mérites. Mais par pitié, fait mieux la prochaine fois.