POISON (usa) - Look What The Cat Dragged In (1986)
Label : Enigma
Sortie du Scud : 2 août 1986
Pays : Etats-Unis
Genre : Hard Rock
Type : Album
Playtime : 10 Titres - 39 Mins
Le Los Angeles des années 80 était l'Eldorado des groupes désireux de quitter leur bled natal. Le légendaire Sunset Strip regorgeait de clubs mythiques, le Roxy, le Whiskey A Go-Go, le Rainbow, le Gazzarri's, le Troubadour, dont les néons faisaient tourner les têtes des apprentis musiciens, au même titre que les grands théâtres de Broadway enivraient les futurs performers fans de musicals... Mais au milieu des années 80, la concurrence était rude...
Entre les noms établis et la masse grouillante d'obscurs combo sont les flyers tapissaient les trottoirs de la ville, se faire une place au soleil était difficile, et il fallait faire très attention, sous peine de finir dans le caniveau de l'oubli dans le pire des cas, ou de retourner dans son patelin d'origine pour panser ses blessures. Les patrons avaient la dent dure, et la réputation de leur établissement entraînait parfois des excès, comme le fameux système du "Pay to Play", et avant de tenir son grand soir, il fallait répéter, ramer, et convaincre le public Californien sans pitié que votre musique était la meilleure.
Mais bien sur, pour se faire remarquer, il fallait parfois oser. Et voir plus loin que les chansons. Travailler son look, son attitude, être agressif, à l'instar de MÖTLEY CRÜE, le modèle de réussite de l'époque, et s'imposer, sur scène et dans la rue, et sur la durée avec un peu de chance. Mais la loi de l'offre et la demande en a laissé plus d'un sur le carreau. Car pour une poignée de groupes ayant connu l'exposition à la lumière, combien sont restés dans l'ombre...
Mettre toutes les chances de son côté, avoir du culot, croire en soi, et foncer, coûte que coûte. Faire des sacrifices, mais ne pas se renier. Et croquer une part du rêve américain, aussi amer soit-il parfois. Et c'est dans ce contexte de joute permanente que les plus belles pages de l'histoire du Hard Californien ont été écrites. Lipstick à la main, mâchoires serrées, et leitmotiv imprimé sur le débardeur, en vert fluo, ou rose.
Welcome to the jungle baby, you gonna die !
Nikki, Mick, Tommy et Vince furent les premiers a relancer le Glam à l'orée des années 80. Nombreux sont ceux qui leur emboîtèrent le pas, mais peu sont ceux qui furent crédibles, et surtout, viables commercialement. Mettre plus de rimmel, de mascara et de fard à paupières n'était pas une gageure en soi, mais il convenait d'assurer derrière, de faire parler les amplis et crier les groupies, le tout avec un bagage de compositions solides et accrocheuses. Sweet, Slade, Cheap Trick en guise de mentors/héros, le niveau était relevé et le public impitoyable. Chacun se toisait, évaluait le potentiel de l'autre, et n'attendait qu'un faux pas pour prendre sa place en lui plantant un couteau entre les omoplates en passant. On payait des potes (alcool, drogues, gonzesses) pour ruiner les concerts, on salissait des réputations, et les gérants de boites se frottaient les mains de cette compétition sauvage qui leur garantissait des prestations solides à moindre frais, voire de solides bénéfices grâce aux pourcentages sur les entrées.
Mais dans le brouhaha ambiant, la laque commençait à sécher et l'eyeliner à couler. Il fallait dans cette lutte acharnée retrouver un peu de fraîcheur, de naturel, et de provocation au second degré, de quoi offrir une bouffée d'oxygène à ce microcosme sclérosé qui se regardait un peu trop le nombril.
Et le salut vint de Pennsylvanie, sous les traits de quatre inconscients un peu plus peinturlurés que la moyenne, mais terriblement attachants et talentueux. POISON.
POISON, c'est la mouture finale de PARIS, groupe de trois potes de lycée, Brett Michaels, Bobby Dall et Rikky Rockett, accompagnés à l'époque de Matt Smith, qui laissa vite sa place (paternité oblige) au fantasque CC DeVille qui fut recruté après une audition (bien que Slash proposa aussi sa candidature, comme quoi, foirer un casting est parfois une bonne chose...). Grâce à un contrat passé avec le gérant du Troubadour, le quartette se vit offrir une exposition énorme qui leur permit de faire connaître leur musique. Avec un look exubérant renvoyant à un croisement improbable entres les travelos des NEW YORK DOLLS et des RUNAWAYS un peu tape à l'œil, il était évident que le quatuor prenait des risques gigantesques. Nombreux étaient ceux qui avaient choisi cette optique avant eux (TWISTED SISTER en était d'ailleurs le parangon), mais lorsque la musique n'était pas à la hauteur de l'excentricité, le couperet de la honte tombait, et tout le monde rentrait à la maison la queue entre les jambes sous le bruit assourdissant des quolibets.
Sauf que POISON, à contrario de bon nombre de leur contemporains avaient travaillé leur musique au point d'offrir le numéro le plus festif des mid 80's.
POISON, en 1985/86, c'était l'épitomé d'une décade placée sous le signe de l'insouciance, du fun, des paillettes et des sonorités extraverties. Et dans le barnum chamarré du Los Angeles de l'époque, ils étaient le numéro phare d'un cirque de l'étrange, jongleurs d'inspirations diverses, aussi opposées que complémentaires. Mélodies Pop, riffs Metal, attitude Glam, Brett, Bobby, CC et Rikky n'étaient rien de moins que des clowns de première bourre, sans nez rouge, mais avec dans la manche des atouts de taille. Une confiance sans limite, et un réel talent de composition. Avec eux, pas besoin d'un Desmond Child, car ils avaient le don de sortir de leur chapeau des hymnes teenage, qu'ils rodèrent de longs mois sur scène afin de s'assurer de leur qualité. Et il leur fallu s'armer de patience avant de pouvoir contracter un deal avec le label indépendant Enigma, qui leur alloua un budget de 30.000 dollars pour la réalisation de leur premier effort, Look What The Cat Dragged In.
Et le titre même de ce disque séminal était un aveu sincère, un double sens limpide, et une mise en abyme fatale. Expression typiquement US aux interprétations multiples, cet intitulé était autant l'image d'un miroir que le groupe se tendait en tant qu'attraction de foire assumée, qu'un jugement sans appel sur une faune bigarrée et parfois pathétique. Après tout, qu'est ce que le chat avait ramené au fond ? Un peu d'authenticité au milieu de la vermine ? Des fauteurs de troubles géniaux ? Les deux. POISON, était plus qu'un festin félin, c'était un chien dans un jeu de quilles. Et si la plupart des groupes locaux se contentaient d'un spare, eux n'avaient de considération que pour le strike. Ce que fut ce premier album.
Tout sur cet effort respire la fraîcheur, la spontanéité, la jeunesse. Il représente au même titre que Too Fast For Love l'envie d'un autre lendemain, l'envie de ne plus crever de faim et d'aligner les boulots alimentaires annexes. L'envie de vivre de sa passion, l'urgence, la folie douce. Et même si sa pochette avait des airs de pastiche de Let It Be version Michou, même si Brett et Rikky étaient tartinés comme des folles tombées dans le make-up cheap en sortant du bois, personne n'a ri lorsque le diamant s'est brutalement posé sur les premiers sillons.
Si "Live Wire" était une entame démoniaque sous acide et provocatrice, "Cry Tough" était un regard en arrière, sur les années de disette, le sourire aux lèvres et des envies de revanche romantique dans les yeux.
"Remember the nights we sat
And talked about all our dreams
Well little did we know then
They were more distant than they seemed
Well I knew it
You knew it too
The things we'd go through
We knew the things we had to do
To make it, baby."
Composé après deux concerts au Palace (le clip y fut shooté sur deux jours), ce morceau, au son explosif et à la mélodie imparable fut un flop en tant que single, mais laissa des traces indélébiles dans la mémoire de ceux qui l'ont découvert à l'époque. Je me souviens de cette fin d'après midi quand je l'ai entendu pour la première fois dans une cabine d'écoute chez mon disquaire, j'ai su immédiatement que c'est ça que je voulais écouter, à ce moment là, et rien d'autre.
Mais lorsque mon pote et moi avons entendu la terrible déflagration de "I Want Action", le doute – déjà quasiment inexistant – s'est évaporé à jamais. Ce boogie bubble-gum était le plus grand hommage rendu à Robin Zander depuis disons... Lui même ! Chœurs acidulés en intro/refrain, rythmique festive, lick de guitare d'un samedi soir qui s'incrustait dans la mémoire comme un premier baiser. A ce moment là, POISON n'était rien de moins que le party band ultime, sans aucune autre prétention que de nous donner du bon temps. Et "I Want Action", un défouloir absolu de la trempe de "School's Out".
"Now I'm a sucker for a pretty face
I don't care if she's in leather or lace
Cause I'm just lookin' for a little kiss"
Analogie avec le "Looking For A Kiss" de la bande à David Johansen ? Oui, sauf que la seringue de Bret contenait de l'insuline, et soignait le diabète, pas la déprime. POISON était un groupe sain vous dis-je, tout du moins jusqu'à ce que CC découvre les joies des paradis artificiels. Mais le paradis dessiné par le groupe était lui bien réel, et coloré.
Et si "I Won't Forget You" laissait un peu retomber la pression en se situant bien en deçà des futures blue songs du groupe ("Every Rose Has Its Thorn", "Something To Believe In"), c'est qu'il fallait bien reprendre son souffle et une tequila avant de repartir festoyer.
Car le title track regonflait le soufflé d'une façon spectaculaire. Description fidèle de la vie d'un groupe Californien à succès de l'époque, c'est la glorification du soir de débauche et du lendemain de rembauche, comme l'avoue Brett sans ambages :
"I'm late for work on Monday
And my boss is bitchin'
Can't get out of be
Cause my head's still spinnin'"
Mais c'est surtout un refrain d'enfer, Et un talent hors pair pour clôturer une face A presque sans défauts. Cinq morceaux, dont trois à valeur de préceptes incontournables de la folie régnant en Californie à cette époque, c'était un défi que peu de gangs pouvaient relever. All Killer, no filler comme le diraient les SUM 41 plus tard, avec beaucoup moins de flair. Mais l'affaire n'était pas encore entendu, et le party était loin d'être terminé. Le plus beau restait presque à venir...
Je me souviens de mon incrédulité en découvrant le faciès surchargé de mes quatre demies donzelles sur le plateau bordélique de Cocoricocoboy. Rencontre improbable entre le roi de l'humour potache de notre beau pays, et le groupe en vogue en Californie, cette scène surréaliste durant laquelle Brett et sa clique mimèrent "Talk Dirty To Me" au milieu d'une équipe de comiques de troisième zone avait des allures de joyeux foutoir qui m'enthousiasma au plus haut point. N'importe quel autre groupe aurait pu sombrer dans le ridicule, noyé dans une gaudriole faisandée, mais POISON choisit la bonne option. Et vécu l'instant à fond, balançant les cotillons comme pour la parade des majorettes, et passa l'épreuve de l'exposition ringarde à l'extérieur haut la main. Il faut dire que cette chanson était le hit par excellence. Sublimée par un riff décadent et punky, cimentée par la basse roublarde de Bobby, et transcendée par le chant goguenard de Brett, elle se pose en équation résolue de l'énigme de la chanson Pop Hard parfaite. Et si vous rajoutez à la recette la frappe créative de Rikky, qui reste à ce jour un percussionniste aussi fondamental que Bun E. Carlos, cigare en moins, vous n'avez plus qu'à vous prosterner, et à écouter, jusqu'à ce que votre cerveau soit contaminé au point de voir le monde en couleurs flashy. Vous ne me croyez pas ? Alors sachez que AT THE DRIVE IN a trouvé son nom de baptême dans les lyrics de ce morceau. Si un tel morceau a traversé l'épreuve du temps, et a inspiré un groupe majeur de notre époque, c'est bien la preuve que sa qualité est indéniable, et qu'il a atteint depuis longtemps le statut enviable de classique (ce qu'à confirmé sa présence sur la bande son du jeu Guitar Hero III: Legends of Rock).
"At the drive-in
In the old man's Ford
Behind the bushes
Until I'm screamin' for more
Down the basement
Lock the cellar door
And baby
Talk dirty to me"
Alors évidemment, et sans tomber dans le cas par cas, les morceaux suivants bien que parfaits restaient en deçà de cette formidable face A et de ce hit d'entame imparable. Mais il est amusant de constater que pour terminer le boulot, POISON ait choisi "Let Me Go To The Show". Bien que rideau de fin évident, aussi entraînant qu'entêtant, ce morceau dresse un parallèle troublant une fois de plus avec le premier album de MÖTLEY.
Too Fast For Love se terminait en effet sur le nostalgique "On With The Show", qui révélait le côté sombre de la vie sur la route, et laissait un goût amer dans la bouche.
POISON lui préféra une fois de plus l'option adolescente ultime, comme pour bien marquer son territoire. Et adressa à ses fans ce message limpide :
Nous sommes comme vous.
L'identification était immédiate, et l'effet décuplé. Et sur une dernière tornade teen, ils refermaient la première page de leur biographie avec panache, et laissaient augurer le meilleur pour les années à venir.
"Mama, let me go to the show
I dig those bad boys playing that rock and roll"
Certes, pour bon nombre de parents, POISON étaient une sale bande de bad boys. Mais pour nous, fans, ils étaient de gentils mauvais garçons, des compagnons de fiesta, dont l'amitié inestimable rythmait nos nuits peuplées de rêves glitter.
Alors bien sur, la critique étrilla le gang, spécialement en Europe, continent assez hermétique aux débordements US échevelés. On reprocha un peu tout au groupe, son inconsistance, sa légèreté, sa focalisation sur l'image au détriment de la musique. On dressa un parallèle entre Mick Mars et CC DeVille, comparant la pseudo nullité du premier à l'incompétence en solo du second. Mais qu'est ce qu'on en avait à foutre... CC décochait des riffs teigneux, Bobby et Rikky tapissaient d'une rythmique polymorphe et solide chaque morceau, et Brett survolait le tout de sa voix certes limitée, mais sexy, aux accents complices.
Et la plus belle vengeance des quatre potes furent leurs chiffres de vente en premier lieu, platine un an après sa sortie (Quatre millions de copies écoulées au final). Des articles dans les magazines référents de l'époque (Cream, Circus). Mais surtout, l'affection indéfectible d'un public qui savait reconnaître leurs qualités, leur authenticité, et leur sens de la fête. Leurs shows, à l'image de leurs vidéos, étaient des explosions de couleurs, des gerbes de décibels, des étincelles de mélodies (avec des tournées en support de RATT, QUIET RIOT)... Ce que la musique Californienne se devait d'être, durant cette période charnière de trois quatre ans, que décrit tellement bien Rock Of Ages. Et si ce film offre deux relectures de l'album suivant, le plus mature Open Up And Say... Ahh !, c'est parce que POISON était sans doute la plus belle illustration de l'American Way Of Life des années 80. Croire en ses objectifs, les poursuivre sans relâche, et les atteindre, enfin.
Et même si Look ne fut pas le meilleur album du groupe (statut réservé au formidable Flesh & Blood), il resta la référence dans laquelle les quatre poupées viendront piocher l'inspiration (en témoignent les hits suivants, "Nothin' But a Good Time", "Unskinny Bop") avec nostalgie. Et je parie ma première mèche blonde que si le groupe avait vu le jour dans les glorieuses 70's, il aurait gagné la respectabilité des DOLLS. Parce que leurs chansons étaient au moins aussi bonnes, parce qu'ils étaient meilleurs musiciens, parce qu'ils étaient aussi drôles. Mais l'histoire de la musique est parfois injuste. Alors réécrivons là. Et offrons à POISON le titre qu'il mérite, comme une épitaphe gravée en musique :
"Whole lotta lovin' satisfaction guaranteed!"
Ajouté : Vendredi 07 Mars 2014 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Poison Website Hits: 6946
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