BON JOVI (usa) - Slippery When Wet (1986)
Label : Vertigo Records
Sortie du Scud : 18 août 1986
Pays : Etats-Unis
Genre : Hard Rock
Type : Album
Playtime : 10 Titres - 44 Mins
Les USA sont bien les seuls à savoir nous offrir de temps à autres des albums larger than life, qui tiennent plus du phénomène que du simple exercice de style... De ces disques intemporels qu'on écoute et qu'on use de génération en génération, et qui continuent, des décennies plus tard, à alimenter les conversations, les articles de blog ou même tiens, les anthologies écrites et compilées sur papier pour pérenniser l'héritage. La production a toujours été pléthorique, et régulière, et elle l'était d'autant plus dans les années 70/80 alors que tout était alors permis, tandis qu'aujourd'hui un marché moribond bride toute velléité d'explosion créatrice, au profit d'une sécurité marketing plus malléable et rassurante.
De Hotel California à Jagged Little Pill, en passant par Thriller, Born In The USA, Songs In The Key Of Life, Led Zep IV et autres Back In Black, les illustrations ne manquent pas... Mais il arrive parfois, qu'outre la qualité d'un produit, ce soit son symbolisme qui déchaîne les acheteurs. Qu'un disque arrive à un moment précis, avec une musique idoine, et le raz de marée déferle sur les boutiques, les ondes, pour porter au pinacle un artiste que personne n'attendait, même pas lui dans la plupart des cas. A moins que tout ne fut prévu à l'avance pour provoquer un séisme commercial d'envergure, comme dans le cas d'un Hotel California, pensé, composé pour illustrer l'album parfait, ce qu'il fut.
Tout prédisposait BON JOVI, le groupe, a devenir une machine a fantasmes pour adolescentes en mal d'icônes du Rock propre. Deux albums au compteur, le séminal et éponyme premier jet ("Runaway", "She Don't Know Me", "Shot Through The Heart"), et un 7800° Fahrenheit plutôt mollasson et tiède ("In And Out Of Love") avaient rendu la tâche plutôt ardue, et il semblait en ces mid 80's qu'il fallait un peu plus au combo que la belle gueule de Jon et quelques demis tubes accrocheurs pour passer le cap du groupe sympathique, mais définitivement bloqué au statut d'espoir.
Alors il fallait se mettre au boulot, travailler son grand soir, et se préparer des jours ensoleillés en Californie. Mais pour ça, Jon, Richie, Alec, Tico et David avaient besoin d'un coup de main. Un coup de patte plus précisément. Car si le duo Sambora/Bongiovi pouvait sans peine accoucher de morceaux entêtants, il leur fallait passer à la catégorie supérieure, et offrir en pâture aux fans une nourriture bien plus riche. En des termes plus triviaux, il fallait décocher la flèche en pleine cible, habiter la mélodie fatale, le refrain contagieux, en gros, décrocher le fameux hit single qui casse la baraque. Et pour ça, le compromis était de rigueur, mais les solutions n'étaient pas légion. Une intervention extérieure était de mise. Celle d'un cador de la composition, d'un orfèvre du tube interplanétaire. Et qui de mieux placé en ces années 80 que le gourou du chorus inoubliable, Desmond Child pour arriver à ses fins ?
Avec une telle association, la réussite était quasiment garantie. Mais personne n'aurait pu prévoir à quel point. Et plus qu'un succès personnel, le troisième album de BON JOVI fut un signal de départ, l'explosion initiale de toute une scène musicale américaine prônant les valeurs de rigueur. L'hédonisme, l'amitié virile, les émotions adolescentes, tout un pan de vie que la jeunesse US n'était pas prête à laisser filer trop vite.
De ce point de vue, Slippery When Wet (panneau placé sur les côtés des piscines publiques aux Etats-Unis) fut le parangon de la science mainstream des groupes d'Outre-Atlantique à accoucher d'albums euphorisants et cathartiques. En dix titres, le quintette résuma toute la philosophie locale de l'époque, basée sur le fun, l'insouciance, et ce concept intemporel de la fuite en avant teintée de nostalgie que John Hughes a si bien capté dans ses films. Le New Jersey se délocalisait en Californie, se teintait de couleurs chamarrées, et allait écrire une des pages les plus joyeuses de l'histoire de la musique contemporaine.
Oublions je vous prie que le titre de l'album fut trouvé lors de fréquentes visites dans un club de strip-tease de Vancouver, et que la pochette originale arborait les formes généreuses d'une poitrine 34DD moulée dans un T-shirt humide. Car à l'instar de Sgt. Pepper des BEATLES, Slippery When Wet plaisait autant aux kids qu'à leurs parents. Contrairement à MÖTLEY CRÜE, KISS ou RATT, BON JOVI offrait aux familles une alternative rassurante et romantique à la sexualité débridée en vogue à l'époque, et les morceaux gorgés de testostérone étaient contrebalancés par des ballades sentimentales qui donnaient le sentiment aux familles que leurs enfants étaient entre de bonnes mains. Stratégie commerciale bien sur, illusion certainement, mais peu importe. La machine était en marche, et rien n'allait pouvoir l'arrêter.
On pourrait bien sur gloser des heures sur ce diptyque temporel 86/87 qui a vu éclore bon nombre d'œuvres phares de la culture anglo-saxonne. Mais outre cet épiphénomène qui allait trouver écho à Manchester ou Seattle des années plus tard (dans des styles radicalement opposés), force est de reconnaître que le troisième album de BON JOVI avait bien des arguments autres qu'iconographiques pour mériter son succès.
Abordons de suite le cas des tubes écrits sur mesure par Desmond Child. Si "I'd Die For You" et "Without Love" n'étaient que de fortes réminiscences du passé du groupe et de ses étapes les plus modestes, "You Give Love A Bad Name" (et son chorus calqué sur le "If You Were A Woman (And I Was A Man)" de... Desmond Child, ou comment élever l'auto emprunt au rang d'art majeur) n'était rien de moins qu'un chart breaker de premier rang aux paroles révélatrices pour le public ("There's nowhere to run, no one can save me, the damage is done", métaphore intéressante sur l'effet produit par le groupe sur son audience), et il en allait de même pour "Livin' On A Prayer" (initialement refusée par Jon, mais incluse sur l'album grâce à la force de persuasion de Richie), et sa supplique "Take my hand, we'll make it I swear"... Ces deux morceaux n'étaient rien de moins que le Saint Graal que le groupe recherchait sans relâche depuis ses débuts. Et l'impact fut énorme. Deux numéros 1 au Hot 100 du Billboard, rien que ça. Les cinq musiciens avaient réussi leur pari, l'Amérique était à leur pieds, et le charmant minois de Jon allait faire le reste du boulot au travers de clips suffisamment calibrés pour séduire d'un côté les jeunes filles en fleur et de l'autre leur petit ami désireux de copier son modèle. Une american success story dans toute sa splendeur en somme...
Mais si la réalisation de l'album avait pris 6 mois d'hiver/printemps Canadien, il était évident que l'aventure ne se résumait pas à deux tubes faciles, et une bonne dose de remplissage en règle. Car même sans l'aide précieuse de chirurgien du prêt-à-porter musical Child, on pouvait compter sur le tandem Bongiovi/Sambora pour composer des hymnes efficaces et bien plus profonds que de simples allégeances aux marché du disque, et plus en adéquation avec leur philosophie personnelle.
Ainsi, "Never Say Goodbye", sous couvert d'une mélodie aux accents un peu tristes, ramenait à la surface des émotions nostalgiques, un peu à la manière d'un Springsteen lorsque ce dernier brosse avec brio le tableau d'une adolescence perdue et d'un passage difficile à l'âge adulte, les yeux embués de souvenirs. Les virées en voiture jusqu'au bout de la nuit, le goût sucré d'un premier baiser, et les sensations douces amères des années de jeunesse qui s'éloignent au son d'un moteur de voiture en direction d'une vie qu'on a pas forcément choisie.
Dans la même lignée, le doux parfum Southern Rock du magistral "Wanted Dead Or Alive", profession de foi de rocker au cœur tendre (qui accrochera quand même malgré sa longueur et sa tonalité Country Rock la septième place du Billboard 100), ne sera rien de moins que le signe annonciateur des années à suivre, et de la couleur majeure de l'opus dit "de la maturité" du groupe, New Jersey. Sur ce morceau, Jon donne tout, et sa prestation vocale convainc, et se rapproche timidement des incarnations vocales du Boss (l'idole de Jon), spécialement sur des morceaux mythiques comme "Thunder Road" ou "Born In The USA". Mais ce morceau si spécifique et unique permettra aussi à Richie de faire montre de tout son talent de guitariste, à l'occasion d'un solo de toute beauté permettant à la composition de s'envoler et d'exploser lors d'un final épique.
En sus de ces implications plus "adultes", le groupe ne se prive pas de proposer sa vision de l'hédonisme qui fait des ravages dans les middle et upper class américaine, et l'anthémique "Let It Rock", intro rêvé de concert, "Raise Your Hands", invitation à la communion et au partage live, et "Social Disease", petite pépite fun aux paroles évocatrices ("You can't start a fire without a spark, but there's something that I guarantee, you can't hide when infection starts, because love is a social disease") sont aussi là pour rappeler qu'au delà de leur volonté d'être reconnus comme des artistes à part entière, les cinq musiciens revendiquent aussi sans honte leur statut de Party Band ultime. Et quelle plus belle affirmation de ce postulat que "Wild In The Streets", véritable apologie de l'errance juvénile sans complexe, lorsqu'il suffisait de faire vrombir le moteur, d'aligner les bières, et de partir chercher sa fiancé pour passer une soirée de rêve.
Pour s'assurer de la validité de leur démarche, ils n'hésiteront d'ailleurs pas à tester leur album sur des ados du coin, qu'ils iront chercher dans les Pizza Hut, car selon eux, "Ce sont eux qui achètent les disques". Leur réaction fut à n'en point douter dithyrambique, et Slippery When Wet fut mis sur le marché. Les conséquences en furent énormes, pour le public qui avait trouvé en eux leurs nouveaux héros, mais aussi pour le groupe, qui mit en branle une gigantesque tournée de promotion, très justement surnommée "The Tour Without End". 130 shows, des headlining dans des festivals prestigieux en Europe dont le fameux Donington 87 (qui verra le groupe se faire gentiment rembarrer par Lars Ulrich et James Hetfield, peu amènes de fouler la scène à leurs côtés pour une reprise de "Just An American Band" après que l'hélicoptère de BON JOVI ait survolé le site du festival lors de leur prestation...), des ventes pharaoniques (2 fois platine deux mois et demi après sa sortie, 12 millions de copies écoulées en 1995), et une adulation sans borne de la jeunesse américaine, qui avait enfin trouvé SON groupe, suffisamment rebelle pour emporter leur adhésion, et un brin consensuel pour obtenir le consentement de leurs parents.
Tout comme U2 avec The Joshua Tree, Slippery When Wet fera passer BON JOVI de groupe solide à figure incontournable capable de remplir les stades. Le très respectable Times les déclarera même "Beatles des 80's", honorant de fait et de concert leur charisme, leur popularité et leur facilité à pondre des hits vendeurs. Leur succès pavera la voie à bien d'autres formations, dont CINDERELLA ("découverts" par Jon), et sera l'épitomé de la vague Hair Metal Californienne des mid 80's. Mais la tournée dantesque les laissera sur les genoux, attisera des tensions déjà existantes, et ce troisième album, bien que symboliquement un vrai départ, sonnera le glas du BON JOVI première période, et restera comme l'instantané d'une époque fugace, celle durant laquelle le groupe savourera le succès durement acquis avant de poser ses valises sur des territoires un poil plus introspectifs.
Il est évident que Slippery When Wet, comme tous les plus gros succès de groupes majeurs (BEATLES, STONES, LED ZEP, SPRINGSTEEN) n'est pas le meilleur album du groupe. Ce statut revient à New Jersey, plus "adulte", moins immédiat/démonstratif et plus profond. Mais il reste un formidable témoignage d'une époque dont les retentissements trouvent encore un écho aujourd'hui (comme en témoigne la comédie musicale Rock Of Ages), et à l'instar du sophistiqué Hysteria de DEF LEPPARD, une preuve que l'hybridation entre la Pop Music et le Hard Rock n'était pas forcément contre nature, et pouvait fédérer des masses inaccessibles pour les groupes les plus réfractaires aux mélanges de genres. Séduire pour convaincre, adoucir pour vaincre. Comme un leitmotiv.
Mais si un seul album de Hard Rock doit se poser en épitaphe d'une décade dédiée aux plaisirs divers, à la légèreté d'une jeunesse frivole et sûre d'elle, avant la retombée cauchemardesque et réaliste du Grunge, c'est bien ce troisième album de BON JOVI, qu'on réécoute encore aujourd'hui, certains d'avoir vécu quelque chose d'unique, un plaisir coupable qu'on assume encore, presque trente ans plus tard. Et c'est certainement le beau Jon qui résume le mieux la situation, d'une façon quasiment pré cognitive, sur le morceau introductif "Let It Rock" :
"Let it rock, let it go, you can't stop a fire burning out of control"
Ajouté : Vendredi 07 Mars 2014 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Bon Jovi Website Hits: 7380
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