Al Jourgensen, MINISTRY, une liberté de ton, de son, d'action et de réaction. Genre de croisé, en guerre permanente contre l'injustice, l'oppression, les inégalités sociales, l'hypocrisie du gouvernement, Al est un peu le petit frère d'arme de Jello Biafra, et le père spirituel de Zach de La Rocha, l'humour en plus. Et tous sont les enfants des STOOGES, du MC5, des CLASH, valeureux combattants qui tomberont tous au champ d'honneur.

MINISTRY, c'est un peu le poil à gratter acide de l'Amérique contemporaine. Al a souvent fustigé les dérives de son propre pays, au point de consacrer un album entier à sa haine viscérale de G.W. Bush junior, qui par ailleurs le méritait bien. Depuis, Obama a remporté deux élections, mais pour autant les motifs de rébellion ne manquent pas… Ils seraient même plus nombreux qu'auparavant si l'on en croit la situation actuelle… Pauvreté, disparité des droits, affrontements ethnico-religieux, retour partiel de la guerre froide, chômage… Al a encore bien des problèmes à pointer du doigt, et il ne s'en prive pas.
Mais cette fois ci, le climat à changé… Car même si From Beer To Eternity se charge de soulever quelques lièvres bien connus, il est surtout marqué par la disparition tragique de l'un de ses concepteurs, le guitariste/ami Mike Scaccia, mort le 22 décembre de l'année passé, sur scène, d'une attaque cardiaque. Perte dont l'ami Jourgensen a eu bien du mal à se remettre, spécialement lors du mixage de l'album, durant lequel il devait réécouter chaque jour les pistes de guitares de feu son pote.
Mais la vie est une garce, et ça, Al le sait depuis longtemps. Alors, pour rendre hommage à Mike, il a continué le boulot, puisque ce dernier considérait From Beer To Eternity comme leur meilleure collaboration.

Ce qui est certainement vrai.

Selon lui, From Beer To Eternity "N'est pas un Greatest Hits, mais plutôt un Greatest Bits. J'ai pris les meilleures parties de MINISTRY, et je les ai mélangées pour en faire cet album. C'est un bon résumé de notre carrière, comme un filet mignon débarrassé de toute sa graisse. On y trouve même des influences REVOLTING COCKS ou LARD". Je ne peux qu'acquiescer, même si j'apporterai à cette déclaration pleine d'enthousiasme quelques nuances.
On trouve en effet sur ce nouvel album tout ce qui a fait le succès de MINISTRY. Les riffs sanglants, les rythmiques synthétiques et sauvages, le chant mi goguenard mi menaçant, les samples utilisés avec sarcasme, et par extension, ces morceaux emphatiques et grondants qui ont assuré la réputation du groupe. Mais de là à le considérer comme le meilleur album du groupe parce que constitué de ce que MINISTRY "a fait de mieux", il y a un énorme pas que je ne franchirai pas. Car Psalm 69 me paraît encore aujourd'hui impossible à surpasser et pour bien des raisons.

Alors, toute raison gardée, From Beer To Eternity est un excellent album, bien meilleur que certains efforts de ces dernières années qui semblaient parfois bâclés. L'ensemble est compact et pourtant, lors des premières écoutes, les morceaux semblent avoir été assemblés de façon très disparate… Mais il n'en est rien, et au bout d'une dizaine de passages, tout devient cohérent. Et comme l'a affirmé Al, le tout résonne d'un écho très positif, malgré la tragédie qui a précédé sa réalisation. On retrouve le MINISTRY gouailleur, méchant mais paillard que l'on a toujours aimé, avec ce mordant caractéristique et inimitable, comme dans l'utilisation de samples très ludiques, ironie en avant mais réelle désillusion entre les dents.

Ainsi, sur le nerveux et saccadé "Fairly Unbalanced", Al balance d'un air narquois des extraits impayables de la chaîne Fox News Channel, dont leur leitmotiv un tantinet hypocrite "C'est ici sur FOX news channel, le réseau que les américains suivent pour avoir des informations équilibrées et fondées". Sacré Al ! Et lorsque le trop fameux "Obama n'a aucune chance d'être réélu. Zéro, que dalle, nib, rien !" résonne, on ne peut s'empêcher de sourire… Surtout que le background musical nous entraîne dans un ballet épileptique et dissonant. Et enchaîner ça sur "The Horror", quasi techno et dans la ligne du parti REV Co., c'est du délire…

Et si certains titres prennent des airs de fête de patronage sous acides ruinée par un clown enragé (le bordélique et bruyant au possible "Side Fx Include Mikey's Middle Finger TV 4"), d'autres sont au contraire très ciblés et concentrés (l'ouverture moqueuse "Hail To The Majesty (Peasants)"), voire même parfois inondés de réminiscences du courant Thrash/Indus allemand des années 90 ("Perma War" qui ressemble quand même pas mal au Feel Sorry For The Fanatic de MORGOTH, lui-même influencé tardivement par MINISTRY…).
Seule exception notable, "Change Of Luck", composé spécialement pour rendre hommage à Mike Scaccia, et dont les couplets lourds sont contrebalancés par un refrain presque Pop. Moment d'émotion rare sur un album de MINISTRY, on pourrait penser ce titre sorti d'une BO des années 80, tant il détonne par rapport à l'ensemble du disque.
Signalons dans un souci d'exhaustivité le progressif "Thanx But No Thanx", qui débute comme un cauchemar Reggae, avant de sombrer dans le Metal le plus poisseux, pour mieux revenir vers des horizons Jamaïcains plombés par un soleil noir.

From Beer To Eternity est donc au final un très bon album de MINISTRY, plus varié que trop hétérogène, et nous rassure quant à la bonne santé d'Al JOURGENSEN en cette année 2013, propice à tous les troubles. Et avec le lot de catastrophes, de manigances, de provocations cheap, de corruption que l'avenir nous réserve, gageons que l'animal est loin d'avoir fini son discours.

Mais le sien étant plus concis, moins long, et plus percutant que ceux de Castro, nous serons encore nombreux à le suivre dans ses exactions.