ALTAR OF PLAGUES (ie) - Teethed Glory And Injury (2013)
Label : Candlelight Records
Sortie du Scud : 29 Avril 2013
Pays : Irlande
Genre : Black Atmosphérique Expérimental
Type : Album
Playtime : 9 Titres - 48 Mins
Si les Irlandais ont fini bons derniers du dernier concours Eurovision (avec un titre somme toute assez faible), leur scène musicale n’a rien à envier au reste de l’Europe. Parlons aujourd’hui du cas fort intéressant d’ALTAR OF PLAGUES, quartette originaire de Cork, à géométrie instrumentale régulièrement variable. Après quelques démos aussi remarquées que leurs deux efforts longue durée (l’excellent White Tomb en 2009 et Mammal en 2011), ce « projet » nous en revient comme tous les deux ans avec une nouvelle synthèse de leurs vues musicales, l’hermétiquement nommé Teethed Glory And Injury.
On a souvent parlé à leur propos de « Post Truc » ou de « Black Expérimental ». Il est certain que leur musique n’a rien de conventionnelle (dans le sens le plus grand public du terme), et si l’accolade des termes « Post » et « Black » semble assez judicieuse, je préfère parler dans leur cas de liberté de composition, et d’adaptation de courants dans un but expressif personnel.
Et c’est ainsi qu’ils nous embarquent dans leur périple, après une longue intro instrumentale de quatre minutes, sobrement intitulée « Mills ». Arrangements fouillés, ambiance sombre et poisseuse, sons venus du lointain…Le tableau est parfait et évoque avec distanciation le tocsin funèbre du séminal Black Sabbath, qui avait en son temps défini les règles d’une musique occulte et envoûtante. Deux adjectifs qui sont à même de placer la musique d’ALTAR OF PLAGUES dans son contexte le plus juste. Car après cette mise en place aussi pertinente que descriptive, l’itinérance débute sous des auspices d’ultra violence et de ténèbres, indices que le groupe évolue sous des cieux ambigus, à mi chemin entre le Black de tradition nordique et le Post Rock américain ne dédaignant pas éclairer sa musique de stridences aveuglantes. Les guitares acides affrontent en permanence une rythmique libre, créant une structure sinusoïdale qui hypnotise autant qu’elle plonge dans la confusion. La juxtaposition de longues séquences d’exposition polyrythmiques et de saccades sauvages décale l’auditeur en permanence, évitant l’écueil de la redite avec une facilité naturelle.
Il s’agit bien sur ici d’extrême violence mâtinée de brumes dépressives éparses, et c’est ainsi que le néologisme « Post Black » prend tout le sens de son vocabulaire abscons. Pas question de se fidéliser à des codes trop figés, car il convient de garder toute liberté de mouvement. Ainsi, les premières minutes de « A Body Shrouded » peuvent autant évoquer le DEFTONES le plus introspectif, tandis que sa suite répand les effluves d’un ULVER clairement remonté. Et si le final en forme de drone subsonique ne cache pas les influences électroniques du quartette, il faut préciser que celles-ci sont revendiquées, et non pas légèrement distanciés comme un gimmick facile.
Postulat d’ailleurs entériné de la meilleure des façons par le tempo martial de « Burnt Year », qui n’est pas sans évoquer le NEUROSIS initial. Et si par le passé, on a pu reprocher aux Irlandais leur tendance à se perdre dans des développements épiques pas toujours pertinents, Teethed Glory And Injury inverse la tendance et oppose une concision incroyable, même dans les moments les plus alambiqués.
Ainsi, les morceaux les plus longs, à l’image de l’impressionnant « A Remedy and A Fever » font montre d’une volonté de rassemblement, avec sa tension progressive instaurant un réel malaise auditif, nous plongeant dans les abysses de notre propre noirceur, sans jamais tomber dans la redondance ou l’itération à outrance. Distillant avec parcimonie les effets et arrangements électroniques, jusqu’à son final étiré à l’extrême qui s’échoue sur une sensation d’apaisement nous permettant de reprendre notre souffle.
Et loin de se reposer sur des lauriers chèrement acquis, ALTAR OF PLAGUES ne lève à aucun moment le pied, et se permet le luxe de clore son œuvre sur trois titres qui synthétisent tout leur talent d’équilibrage, et qui nous présentent sur un plateau les recettes les plus éprouvées de leurs auteurs. Le déstabilisant « Scald Scar Of Water », en constant contre-pied, opposant les riffs distordus et les instants digitaux sous jacents, sur fond d’invocations sépulcrales, le concis et surprenant « Found, Oval And Final » qui s’autorise des rythmes non conventionnels, et le traumatisant « Reflection Pulse Remains », lâchant toutes ses forces dans une bataille rangée, durant lequel les tempêtes du Nord dévastent un paysage digital déjà bien déchiré. Une guitare perturbante, des accélérations subites à peine masquées par des lignes mélodiques maladives, sur lesquelles un chant habité vient cracher sa misanthropie.
Le cap du troisième album étant relativement délicat à passer, la performance d’ALTAR OF PLAGUES n’en est que plus remarquable. En ne reniant en rien tout ce qui a pu faire leur spécificité, les Irlandais se concentrent, condensent, pour ne retenir que l’essentiel, à savoir cette magie opérante qui réussit à faire cohabiter des courants à priori opposés, tout en gardant intacte cette fureur qui leur est propre. Et si les dernières secondes de l’album ressemblent à une fin de communication dans la grande tradition de John CAGE, j’espère sincèrement que cette réussite presque totale ne sera qu’un nouveau point de départ pour ce quartette atypique.
Ajouté : Mardi 27 Août 2013 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Altar Of Plagues Website Hits: 9698
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