Certains groupes semblent avoir pour unique but de nous surprendre, de nous déstabiliser, en changeant d’objectif, de mode opératoire, au point de devenir complètement méconnaissables…
On pourrait parler à une grande échelle de METALLICA bien sur, qui prend un malin plaisir à brouiller les cartes et à être là ou personne ne les attend (qui s’est remis de Lulu ?), de KISS, qui suivait les modes comme une It-girl de soap, ou dans un registre hors contexte, de MADONNA, BOWIE, les BEATLES, et tant d’autres.
A une échelle plus réduite, le cas de TRIBULATION reste frappant.
Après un premier album - le très remarqué The Horror en 2009 - format court, concis, les suédois se sont accordé une très longue pause pour revenir quatre ans plus tard avec ce nouveau né, The Formulas Of Death, qui désarçonnera sans doute une bonne frange de leur public.
Exit la synthèse, foin du timing raisonnable (trente petites minutes) de leur premier effort, ici, tout n’est que digressions, atmosphères, tentatives lyriques et recherche développée de la mélodie. Onze titres, soixante quinze minutes de musique, on peut dire que le changement s’est transformé en mutation dans les grandes largeurs tant les différences l’emportent sur les points de cohésion…

Message à ceux qui avaient apprécié The Horror pour ce qu’il était : Vous ne retrouverez presque rien de ce qui avait pu vous séduire à l’époque. TRIBULATION est un tout autre groupe aujourd’hui, plus ambitieux, et surtout, s’étant donné les moyens de ses ambitions.
Pour décrire (à tout le monde finalement) ce qui vous attend à travers les pistes de ce Formulas Of Death, essayez d’imaginer un DISSECTION produit dans les années 70 par Bob Ezrin, et dont les compositions oscillent entre la brutalité la plus franche et les arrangements épiques et harmoniques.
Du Black, les suédois ne retiennent que les riffs alambiqués, les soli dérangeants, les rythmes effrénés, et à la rigueur, la voix écorchée, véritable réincarnation du gosier hanté de feu Jon Andreas Nödtveidt. Le reste fait parfois penser à OPETH, versant positif, SONANCE, ou même MORBID ANGEL dans les sections les plus heurtées.
En gros, rien de ce qui faisait le charme naïf de leur premier LP…Et pourtant, même en ayant opéré un lifting en profondeur, les suédois parviennent encore à nous séduire en restant crédibles, un peu à la manière d’un NEUROSIS nous offrant le traumatique Souls At Zero après le rudimentaire et revendicateur The World As Law.

Techniquement, Formulas Of Death est une succession de longues interprétations personnelles sur un thème global, structurées en morceaux cohérents, qui ne laissent aucun instrument dans l’ombre (cf la basse menaçante de « Suspiria »). C’est un « effort », dans le sens le plus littéral du terme, qui laisse pourtant un goût spontané dans la bouche, et qui parait disons-le, naturel. Organique, c’est le mot.

Les morceaux s’articulent sur une ossature solide, interfèrent les uns avec les autres, même si « Suspiria » et le final « Apparitions » se taillent la part du lion. TRIBULATION a saisi au vol une humeur macabre, a pris grand soin de ne pas la dénaturer, mais l’a adaptée à son art, ce qui donne parfois, lorsque l’interprétation est à son zénith, des mélanges envoûtants, comme sur l’imparable « Through The Velvet Black », qui entremêle les effluves Black, Viking, Heavy, Pagan et progressive sans que l’on doute à aucun moment du bien fondé de la tentative.
« Rånda » se permet la rythmique d’un MAIDEN des grands jours sur laquelle les intonations de DISSECTION viennent se greffer comme un virus. Le mid tempo de « Ultra Silvam » dynamisé par quelques notes de guitare claire évoque la scène indépendante anglaise des années 80, tandis que « Spectres » juxtapose le D-Beat avec la rudesse du BATHORY de 1985, sur un tapis sonore quasi Punk.

D’autres exemples ? Il y en aurait évidemment des dizaines. Nous pourrions bien sur parler de ces breaks inopinés qui semblent surgir de la brume d’un vieux marais (les cloches sur « Spectres » accompagnées de voix…spectrales justement, le solo purement Heavy sur « When The Sky Is Black With Devils » juste avant la reprise très Black, le Speed métal malsain et soudain de « Spell »…), nous pourrions gloser des heures sur le souffle épique des deux morceaux les plus alambiqués de cet album, qui se permettent de juxtaposer les climats les plus antagoniques et d’alterner les émotions jusqu’à l’overdose, mais à quoi bon…

La seule chose qu’il convient de préciser, une fois de plus, c’est qu’avec Formulas Of Death, TRIBULATION acquiert une identité indéniable, qu’il joue avec les sonorités sans se soucier d’une quelconque « mode », et qu’il parvient à nous attirer dans un voyage temporel incroyable, passant d’arrangements 70’s en accélérations Black contemporaines, sans jamais se dénaturer ou sembler incongru.
Une façon très « suédoise » de rejeter les conventions, et de faire comme bon leur semble. Et pour nous – auditeurs – le bonheur de découvrir quelque chose de frais et novateur autant que sombre et décadent.
Une gageure.