TANKARD (de) - The Morning After (1988)
Label : Noise Records
Sortie du Scud : septembre 1988
Pays : Allemagne
Genre : Thrash Metal
Type : Album
Playtime : 12 Titres - 40 Mins
Finalement, outre la guitare, l’autre grand amour du metalleux pur jus, ça reste la bière. Qu’elle soit délicate, bon marché et imbuvable, mais suffisante pour vous mettre la tête à l’envers, blonde de préférence, c’est la compagne de circonstance du fan durant les concerts, celle qui vous raccompagne chez vous bien minable et qui vous fait pisser toute la nuit, aux toilettes ou sous la couette.
Alors dans ces cas là, et lorsque le Dieu de la porcelaine est invoqué régulièrement, il ne reste pas des milliers d’alternatives.
Choisir une cuvée un peu plus subtile, une blanche, la boire avec modération, la savourer, histoire de comprendre ce qui vous arrive le reste de la journée.
Mais dans les années 80, là n’était pas le but. Spécialement en Allemagne, là ou le houblon était considéré comme une plante aux vertus médicinales quasiment érigée en symbole national.
On est Thrash ou on ne l’est pas.
Et dire que TANKARD l’était est un doux euphémisme. TANKARD, c’est un peu la grognasse en maillot doré de la pub « Pacific ». Un groupe sandwich, une pub perpétuelle, une invocation permanente à la surconsommation de breuvage moussu et amer. A tel point qu’ils ont quasiment consacré toute leur œuvre à la quête de la vérité :
« La bière est elle oui ou non la réponse à tous les maux du monde ? »
Snack, junk food, soirée entre potes, lendemains difficiles. En gros, le leitmotiv de bien des chevelus de cette décade magnifique qui ne nous interdisait pas encore de consommer du carburant dans les salles de concert.
Un prêté pour du rendu ?
Oui, mais expulsé avec conviction, régurgité à fond le(s) ballon(s), et sitôt redistribué, on retourne derechef devant la scène pour perdre le dernier kilo de pellicules qui nous reste.
En 1988, le quintette allemand (Gerre : chant, Frank Thorwarth : basse, Frank Thorwarth : Guitare, Andy Boulgaropoulos : guitare et Oliver Werner à la batterie) a déjà à son actif deux LP’s. Le plutôt moyen Zombie Attack (à la pochette éblouissante cela dit, une constante chez le groupe), encore un peu tendre, et le révélateur Chemical Invasion, son savant aux motivations éthyliques, et ses hymnes instantanés (l’immortel « Tantrum », et le plus sombre « Total Addiction »).
En gros, un groupe de Thrash radical, très capable, et représentant le versant positif/fun de cette musique énergique et sans compromis.
Alors après la réussite indéniable de l’année précédente, et la présence de l’imparable « Total Addiction » sur la compil estampillée Noise Records Doosmday News, nous étions assez nombreux à attendre la prochaine étape de fermentation, désireux que nous étions de retomber dans un état d’enivrement cotonneux.
Et la réponse à nos attentes arriva assez rapidement, sous la forme d’un disque/fût à l’illustration ad hoc, l’inestimable The Morning After.
La fin des années 80 correspond en Allemagne à un changement de ton. L’arrivée du Techno Thrash secoue les consciences, et les groupes les plus « basiques » se sentent tout à coup des velléités de complexité, et riffent à tout va. La contagion s’étend à tout le territoire allemand, de LIVING DEATH à HOLY MOSES, en passant par DESTRUCTION et DEATHROW.
Et même TANKARD, pourtant si franc et direct n’échappera qu’en partie à la règle.
Car The Morning After reste leur effort le plus travaillé, le plus touffu, et le plus riche en variations. Tout en conservant cette patte radicale et ce côté franc tireur qui les caractérise.
« La bière, la bière,
Qu’est ce qu’elle a fait de moi la bière
La bière, la bière,
C’est comme si c’était mon frère ! »
C’est vrai que Sapu des Garçons Bouchers la chantait si bien… Mais la différence, c’est que Gerra et sa bande la vivaient eux !
Et tout commence par un coup de fil mystérieux à la maison de disques du groupe, Noise International.
« Hello, welcome to Noise International. At this moment no one is able to take your call, so try again, or listen to this »
Puis, déchirant les enceintes, le riff principal de “Commandments” nous plongeait direct dans les cuves, et nous étouffait de ses bulles sans possibilité de remontée à la surface.
Le cru 1988 des allemands était sévère, surchargé en alcool, et provoquait une sensation étrange de déstabilisation, causée par une multitude de plans s’entrechoquant comme des chopes pleines au comptoir d’une brasserie. Un toast porté à ce breuvage mythique, une ode au Dieu malt et au prince houblon, une prière de comptoir, avec addition salée à la sortie. Mais quel sevrage !
The Morning After, outre son titre en forme de confession post biture, était une radicalisation de la musique de TANKARD. Plus fort, plus rapide, plus brut, tel semble avoir été l’objectif du quintette en entrant en studio, et il faut bien admettre que le résultat valait bien les efforts.
Car outre le morceau d’ouverture, il contentait bon nombre de perles à 12.8°, du genre à vous noyer le cerveau dans un flot brun et sans faux col.
Ainsi, la reprise joyeuse des SPERMBIRDS, « Try Again », rigolarde, permettait de rendre hommage tout en conservant une certaine amertume si chère aux allemands.
Mais les titres les plus forts offraient aussi des variations bienvenues.
« F.U.N », pamphlet dénonçant les brutes épaisses envisageant les concerts comme des rings de boxe, déversait son refrain scandé comme un mantra au rythme de 2 centilitres/secondes, et mieux valait avoir du souffle pour tenir. Car après une fausse intro Jazz, le riff central retentissait, et trouvait écho jusque dans les gogues déjà inondés.
L’entame de seconde face, et titre éponyme, était le genre d’hymne à la gueule de bois que nous avons tous entonné un jour.
Riffs sombres, tempo changeant, toutefois souvent bloqué sur la vitesse maximale, le tout passé à la meuleuse par un Gerre s’époumonant comme un beau diable, « The Morning After » représentait le parangon de l’état de torpeur/honte/colère qu’on pouvait ressentir les lendemains de cuite. Avec une intensité propice aux migraines les plus sévères, ce morceau se posait déjà en conclusion logique d’un développement axé sur le demi à répétition en tant que concept.
Boire ou faire du bruit, il ne fallait pas choisir.
Outre ces trois grandes déflagrations, le reste du répertoire ne faisait pas non plus tâche, même sur un T-Shirt en ayant vu d’autre.
« TV Hero », au texte assez atypique, dénonçait les excès télévisuels en tout genre, tout en assurant niveau rythmique et abattage en règle.
Quant à « Feed the Lohocla », outre son énième hommage aux barflies, il constituait la meilleure façon d’aborder le final de l’album, en forme de pied de nez au bon goût.
Mais évidemment, comment passer sous silence une perle comme « Mon Chéri », dédiée aux plus furieux des gentils méchants, NAPALM DEATH ? Quarante secondes de chaos intense, sorte de private joke de fin de soirée, lorsque la raison l’a déjà cédé depuis longtemps à l’ivresse, calquée sur les plaisanteries Speedcore de NUCLEAR ASSAULT (« Hang The Pope », « My America »), c’était avant l’outro légère de rigueur, une conclusion logique de toute cette affaire, comme une dernière mousse bue d’un trait juste avant de tomber dans les pommes.
Celle qui laisse sur le carreau, avec zéro souvenirs en option, et une boîte crânienne en piteux état.
TANKARD… Des joyeux drilles, bien allumés… Le genre de potes qui débarquent les bras chargés de packs de 32, la gueule enfarinée, pour relancer une fête un peu trop calme.
Et sur The Morning After, il faut quand même constater qu’ils avaient fait fort, bien poussé les meubles, et aiguisé leurs dents en cas de disparition du décapsuleur.
Ce fut en quelque sorte l’apogée de la première partie de carrière des allemands, un genre de pont entre le Thrash diffus et supersonique, et les hymnes plus basiques à venir (« Space Beer » en fut le meilleur exemple).
Bien évidemment, on pouvait apprécier ce disque ET rester sobre.
Mais c’était un peu comme regarder The Trip de Corman sans être défoncé. Une perception partielle, une dégustation tronquée.
Et c’était surtout la plus belle preuve que le Thrash allemand pouvait être concurrentiel ET léger. Sans tomber dans la pantalonnade.
A l’instar d’ANTHRAX et de son Among The Living culte, TANKARD avec son troisième LP définissait les contours d’une musique faussement simpliste, jouée avec sérieux pour un résultat facétieux.
Car on peut sortir une bière avec une vieille vanne foireuse.
Mais faire péter la roteuse avec un gag de premier ordre, ça demande un certain talent.
Ajouté : Samedi 02 Mars 2013 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Tankard Website Hits: 8914
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