On se souvient généralement davantage, et c’est paradoxal, des albums sur lesquels on n’a pas du tout accroché que de ceux qui présentent de bonnes dispositions mais qui naviguent sans conviction dans une masse granuleuse d’enregistrements. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le premier voyage à bord d’Air-ALKALYS s’est plutôt mal passé. De turbulences en dépressurisations, de nausées en voisin taïwanais un peu relou, Chœur Delys avait été un vol compliqué, exténuant et ma foi, un mauvais souvenir. Mais le temps fait généralement bien les choses, il fait mûrir les gens, qu’ils soient musiciens ou chroniqueurs, qu’ils soient pilotes ou passagers. Alors c’est sans aigreur au final que le nouvel opus des barjots d’ALKALYS sera passé à la moulinette, avec l’envie non-dissimulée de voir ces garçons m’ôter le peu de crédibilité qu’il me reste.

Il faut l’avouer, cet album est beau. Physiquement déjà. Présenté dans un packaging remarquable, on ne manquera pas de souligner que le logo du groupe est une anagramme, pour dire discrètement que sa musique peut se lire dans tous les sens. Egalement, notons que ces musiciens viennent de la haute. La haute société ? Non. La Haute-Normandie ? Oui. Une terre plus généralement glorifiée pour sa production de vaches que pour ses groupes de Metal. ALKALYS, du Metal ? Pas exactement. En fait, il faut lire entre les lignes. Post-Rock d’un côté, Post-Hardcore de l’autre et entre les deux, du Noise, du Stoner et des ambiances. Pour contrecarrer le souvenir douloureux d’un Chœur Delys presque entièrement instrumental, ALKALYS présente déjà sa première évolution : des guests différents assureront quelques vocaux sur ce disque. Autre nouveauté, beaucoup plus importante : A Pack Of Lies est une mangeaille digeste. Moins à cheval sur les atmosphères bruitistes, les volutes de fumée exogènes, les carabistouilles hallucinogènes et les jeux de mots foireux, cet opus concentre sa force sur la valeur intrinsèque des instruments. Le jeu de batterie est remarquable, tout en finesse et en progressisme. Les cymbales sont constamment sollicitées et offrent un rendu tiptop. Par ailleurs, tout en conservant ses arrangements qui balancent entre un Hardcore lunaire et un Doom pachydermique, ALKALYS diversifie ses envies. On entendra par exemple sur « Inferno Black Clouds » des notes cuivrées sur lesquelles l’ami Nick Urata de DEVOTCHKA n’aurait pas craché. Egalement sur l’éponyme des vocaux aliénés qui embellissent des guitares narcoleptiques et qui achèvent de me convaincre que les Hauts-Normands évoluent bel et bien, quoique j’aie pu en penser, dans la grande famille du Metal. Après, malgré les nettes améliorations, ALKALYS garde ce problème récurent de composer des morceaux interminables, qui en finissent par devenir épuisants. Cette galette demande une concentration extrême pour apprécier ses multiples détails, et tout le monde n’a pas toujours la tête à ça, ce qui a le tort de reléguer parfois des pistes comme « Incandescence » au rang de musique d’ambiance. Mais je dois bien reconnaître qu’il se passe quelque chose, sur lequel il m’est impossible de mettre un nom. C’est juste une approche moderne et évolutive du Post-Hardcore, qui définit clairement sa ligne de conduite et qui s’y tient. Cette démarche rend cette sortie plus que respectable, en dépit des divergences d’opinion.

C’est d’autant plus remarquable qu’ALKALYS, a mes yeux et a mes oreilles, est parvenu à gommer le surplus de créativité qui rendait l’album précédent outrancier pour en arriver à un discours moins superficiel, qui fait la part belle aux ambiances éthérées certes, mais qui recentre aussi son propos sur un Post-Hardcore digne de ce nom. Ce n’est pas le coup de foudre absolu, mais c’est suffisamment bien rattrapé pour considérer désormais ALKALYS comme un groupe valeureux et avant tout, crédible.