THE PROCESSUS (FRA) - Al Slumber (Mars-2010)
« On ne peut pas plaire à tout le monde ». Il est vrai que ni Laurent Ruquier, ni Al Slumber ne font l’unanimité. Si le premier n’a plus besoin de publicité, le second mérite toute notre attention. Il est le maître à penser de ce one man band français intitulé THE PROCESSUS qui a sorti son troisième album : Please Worship Life : Devour Yourself en 2009. A vous qui espériez tomber sur des gros riffs, des growls caverneux, des blasts à en vomir, revenez plus tard. Nous parlons ici d’expérimentations. THE PROCESSUS est une entité inclassable, qui s’épanouit dans la complexité, la violence sonore, l’extrême, le dépassement de soi. Aucun mot n’est probablement assez précis pour caractériser le style pratiqué, la meilleure des options restant de se faire son propre avis. A travers cette interview, Al Slumber revient avec intelligence sur sa conception de l’extrême où comment pousser la musique dans ses ultimes retranchements. Entretien.
Line-up : Al Slumber (tous les instruments)
Discographie : Intimacy (EP - 2002), To Disappear (album - 2004), Human Soul : The Exponential Territory Of Aberration And Saturation (album - 2007), Please Worship Life : Devour Yourself (album - 2009)
Metal-Impact. Salutations Al. Je suis Stef. pour le webzine Metal-Impact. Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger quelques opinions concernant THE PROCESSUS. Pour nos lecteurs, comment définirais-tu ce projet qui sort un peu de l’ordinaire ?
Al Slumber. Salut Stef. Eh bien, si je devais le définir d'un point de vue sonore, il me serait impossible de le mettre dans une catégorie précise, tant la musique de THE PROCESSUS est hybride, à la croisée de courants musicaux bien différents. THE PROCESSUS emprunte autant au Metal extrême, pour la noirceur de ses atmosphères, le chant bien typique, qu'à la musique électronique (au Breakcore pour la déstructuration de la rythmique, au Noise pour ses sonorités ultra saturées, à l'Indus pour sa froideur mécanique, et à l'Ambiant pour ses atmosphères immersives et hypnotiques).
MI. Tu as créé THE PROCESSUS dans un but précis il me semble. Celui de repousser toujours plus loin les limites de l’extrême. Quels sont les moyens que tu mets en œuvre pour relever ce challenge ?
Al Slumber. Pour repousser les limites de l'extrême, il faut déjà avant tout se poser la question de l'extrême. Ça à l'air évident comme ça, mais finalement, qu'est ce qu'être extrême en musique ? Que signifie vraiment "extrême" ? Il faut dissocier les différentes notions liées au mot extrême. Un groupe peut être extrême dans son imagerie, ses paroles, mais ne pas pour autant créer une musique vraiment extrême. La notion de "malsain" est elle forcément toujours à associer à celle d'"extrême" ? On peut créer une musique malsaine qui ne soit pas forcément extrême, d'un point de vue agression sonore, mais extrême en terme de noirceur d'atmosphère développée par la musique. On peut donc être extrême de plusieurs manières. Personnellement, la voie de l'extrême que je cherche à aborder est -principalement, mais absolument pas uniquement- celle de l'agression sonore. Après, que la musique soit considérée comme malsaine ou pas, c'est une opinion subjective. A partir donc de ce point de départ, la question est: comment peut t'on donc pousser les limites de l'agression sonore le plus loin possible? On passe par le blast beat pour commencer. Mais l'agression sonore diminue graduellement si le blast devient trop long, finalement hypnotique. Il faut casser les structures classiques des morceaux (éviter absolument la structure couplet-refrain), il faut malmener le cerveau, le surprendre constamment, et dès qu'il s'habitue à un rythme, changer de rythme. Rester dans l'instabilité. Inlassablement. Repousser les limites de l'extrême passe donc par la déstructuration. Pour aller plus loin, il faut utiliser une palette de sons la plus agressive possible, la plus froide, la plus inhumaine. La guitare possède un son organique, et même dans les riffs les plus froids, les atmosphères développées avec des guitares restent toujours plus "chaudes", humaines. C'est pour cela que je travaille en très grande partie avec des sonorités venant de la musique dite industrielle, et des sonorités venant le l'univers du Noise. L'extrême est donc à tous les niveaux: rapidité, déstructuration, froideur, deshumanisation, saturation. Ce sont ces moyens que je mets en œuvre pour essayer de relever ce challenge.
MI. Comme tu as pu le lire dans ces pages, j’ai eu beaucoup de mal avec ton concept expérimental. Ne penses-tu pas qu’en produisant une musique si inhumaine et déstructurée, tu risques d’avoir du mal à trouver un auditorat concret, dans un milieu où, hélas, ce ne sont pas toujours les plus créatifs qui rencontrent le succès ?
Al Slumber. Il est évident que travailler dans un tel registre de musique ne permettra jamais que de toucher un public très confidentiel. Mais créer en vue de plaire à un certain public, de plaire tout court, est une démarche qui n'a plus grand chose d'artistique. Créer pour plaire ? Non merci. Créer doit répondre à un besoin vital d'expression, d'exprimer un ressenti intérieur et de le transposer en univers sonore, pas à une volonté de plaire. Je n'ai jamais créé cette musique dans le but de rencontrer le succès, de me faire un seul centime. Je m'en fous complètement. C'est juste l'envie d'explorer de nouveaux horizons sonores, de repousser l'agression sonore dans ses ultimes retranchements, de développer un univers sonore le plus personnel possible, de mettre en musique un ressenti intime profond qui a besoin d'être extériorisé pour éviter une certaine saturation, d'apporter ma petite pierre à l'édifice de la musique extrême. Voilà mes seules motivations à créer une musique "autre".
MI. Comment et dans quel esprit composes tu ? Quel est le processus créatif et artistique de ton projet ?
Al Slumber. Je créé dans un mélange bizarre de spontanéité, de calcul et d'expérimentation. Ça commence par une idée plus où moins précise (ce morceau là sera principalement axé sur la déstructuration, celui là sur la lenteur, celui là sur un crescendo progressif allant d'une atmosphère calme à un chaos sonore indescriptible, etc..). Avec cette idée en tête, je fais des recherches de sons, pour voir lesquels pourraient coller le mieux avec cette idée, puis j'expérimente quelques rythmiques. De nouvelles idées viennent se greffer au fur et à mesure, font des fois complètement changer l'orientation du morceau, si les nouvelles idées arrivant sont plus pertinentes que celles du départ. La plupart du temps, le résultat final diffère beaucoup de l'idée que je me faisais du morceau au départ. J'ai besoin de me surprendre, de casser mes règles, mes tics de compositions. D'où la place très importante laissée à la spontanéité. Le chaos émerge plus de la spontanéité que d'idées pré-calculées à l'avance, prédéfinie précisément, incapables d'évoluer avec l'instant. D'où le nom du groupe. Parce que ce qui m'intéresse principalement dans une création artistique, c'est le cheminement des idées permettant la création de l'œuvre, autant quand je créé que lorsque je suis spectateur. C'est la manière dont les idées naissent, s'enchevêtrent, se structurent, pour aboutir au résultat final. Bref ce qui m'intéresse c'est l'acte de création, le processus de la création.
MI. Tu réalises également toi-même les artworks de tes albums. Quel est le message derrière celui de Please Worship Life : Devour Yourself ?
Al Slumber. Le but de cet artwork est d'être assez étrange et décalé pour que chacun puisse en faire sa propre interprétation.
La pochette de Please Worship Life : Devour Yourself représente un individu en train de se dévorer lui même. Mais rien à voir avec une imagerie inspirée d'un film de zombies ou autre. Ici le personnage n'a pas de cheveux, d'yeux, de signe physique distinctif particulier. L’absence de cheveux est là pour mettre avant tout en image un être humain lambda. Un être humain d'un point de vue universel. Il n'y a pas d'yeux pour renforcer le côté universel et intérieur de la chose. Le personnage se dévore, mais curieusement, le sang ne coule pas, tout reste propre. Le personnage possède aussi d'étranges blessures bizarrement trop droites, chirurgicales, pour renforcer l'étrangeté de l'image. L'idée est de développer une imagerie organico-onirique. Le but étant de parler du corps avant tout. De la relation corps/âme, du corps comme le temple pourri d'une âme qui ne supporte plus ce corps, qui ne comprend pas le monde qui l'entoure. Si on traduit le titre, ça donne à peu près: « s'il te plait, voue un culte à la vie: dévore toi ». Un titre bien étrange et ambigu. On pourrait traduire ça par: « arrête de détruire ce qui t'entoure, ne rejette pas la faute sur l'autre, soit ton pire ennemi, car l'enfer, ce n'est pas les autres, c'est soi ». Un titre bien ambigu, à l'image de l'humanité. L'humain, cet être ultra complexe et quasi schizophrène à force de trop de dualité, de questionnements vains, d'actions absurdes, de manières de vivre absurdes. L'humain, ce cancer absolu, ce destructeur sans fin. D'où une sorte de réflexion ultra amère: humanité, s'il te plait, laisse une chance de survie à la Terre, détruis-toi. La vie aura tout à y gagner.
MI. La durée de cette autoproduction est significative : 70 minutes. Ne crains-tu pas que ce facteur puisse être une autre source de rejet ?
Al Slumber. Oui, si l'album avait été linéaire. Mais je parlais au dessus du côté hypnotique du blast, de la nécessité de surprendre par des structures de morceaux chaotiques, des temps de pauses inattendus, pour mieux mettre en relief, en valeur la violence sonore. C'est ce que j'ai essayé de faire. L'album contient peu de morceaux totalement jusqu'auboutistes (je n'ai pas fait un Panzer Division MARDUK électronique par exemple). Si ça avait été le cas, je n'aurais pas dépassé les 30 minutes pour l'album. Mais il y a ce qu'il faut de moments "relativement" plus calmes pour aérer les morceaux, l'album, le rendre digeste. Il y a par exemple deux morceaux d'un peu moins de 10 minutes avec des rythmiques lentes, des structures ambiantes ("Ghost Life Ghost World" et "Pain, Mystical Debris") qui sont des explorations de l'extrême dans la lenteur principalement. Ils n'ont pas grand chose à voir avec des morceaux comme "The Inadequation" ou "Thought = Chaos", qui sont eux, clairement jusqu'auboutistes dans l'idée de repousser l'extrême le plus loin possible (qui est donc une des volontés de recherches de THE PROCESSUS, mais pas la seule, la principale étant l'exploration de l'extrême en général, de ses possibilités). Le morceau final ("Cenotaph Of Humanity") commence de manière "classique" dans sa violence sonore pour s'arrêter au bout d'une minute et demie, ensuite commence la mise en place d'un long crescendo allant d'une atmosphère lente et calme à une atmosphère noisy, déstructurée et hypnotique s'étalant sur une vingtaine de minute. Le disque est donc long, mais structuré de manière à surprendre le plus possible l'auditeur, et éviter toute sensation de répétitivité. Mais évidemment, le disque demande pas mal d'écoutes pour être mieux appréhendé dans son ensemble. Ce n'est pas de la musique facile d'accès, elle ne brosse pas l'auditeur dans le sens du poil. Il faut aussi avoir une certaine ouverture d'esprit pour apprécier l'univers extrême, intimisme et déshumanisé développé par la musique de THE PROCESSUS. Il faut avoir une certaine connaissance des styles qui influencent ma musique (Metal extrême, Breackcore, Indus, Noise, Ambiant donc), pour pouvoir mieux la comprendre et l'apprécier. Et il faut aussi aimer les expériences un peu nouvelles.
MI. Les paroles présentes sur ton album étant proprement incompréhensibles, peux-tu nous détailler les sujets abordés dans tes chansons ?
Al Slumber. Si la plupart du temps les paroles sont incompréhensibles, c'est tout simplement parce que ce ne sont que des borborygmes. J'utilise la voix comme un instrument de plus, pour enrichir la musique, pas comme le vecteur additionnel d'un sens, avec l'ajout de paroles parlant de thèmes précis. Mais, des fois il y a des paroles. Dans ce cas là, les thèmes abordés sont dans l'esprit de l'artwork. Elles traitent de dualité, d'incompréhension entre la chair et l'âme, du corps qui pourri, de la maladie qui contamine tout…
MI. Tu as travaillé avec THE BERZERKER sur la pochette de leur album The Reawakening. Comment s’est déroulée cette collaboration ?
Al Slumber. J'ai en fait au départ participé à un concours de pochettes qu'ils avaient lancé pour leur album précédent, Animosity. J'avais remporté ce concours et fait l'artwork du disque. Etant bien satisfaits du travail effectué sur la pochette, ils m'ont tout simplement demandé si j'étais partant pour une nouvelle collaboration. Inutile de dire que j'ai répondu par l'affirmative !
MI. Tu réalises également en ce moment des reprises de groupes qui s’éloignent de l’esprit Metal (BJORK, ESTRADASPHERE…). Parles-nous un peu de ces divers projets.
Al Slumber. Le but est de ne surtout pas s'enfermer dans la logique : repousser les limites de l'extrême. Ce serait s'enfermer dans des carcans, se condamner à se cloisonner dans une formule préconçue et du coup, finir obligatoirement par se répéter. Mon but avec THE PROCESSUS étant d'explorer, mais surtout d'évoluer constamment, de ne pas se répéter, je ne vais pas persévérer ad nauseam dans cette voie, ce serait vain.
D'où le fait de passer par exemple par des reprises de morceaux s'éloignant de l'univers de la musique extrême. Je compte aussi aller aussi vers des morceaux très lents, pour mettre plus en valeur la recherche sonore, les atmosphères. J'ai aussi en tête de faire des morceaux vraiment extrêmes (donc jusque là rien de nouveau) mais des morceaux extrêmes et planants, hypnotiques. Essayer d'allier la musique planante avec la musique extrême, pour faire donc une musique tout en contraste, faire fusionner des styles musicaux complètement à l'opposé, mais qui fusionnés ensemble, permettent de créer des atmosphères très particulières et marquantes (donc continuer à développer ce que j'ai commencé à faire avec le dernier morceau de Please Worship Life : Devour Yourself, qui s'intitule "Cenotaph Of Humanity"). Bref, continuer à expérimenter.
MI. Quelles sont tes sources d’inspiration musicales ? Tes passions dans la vie ? Tes références culturelles ?
Al Slumber. Mes sources d'inspiration principales viennent donc du Metal extrême, surtout des groupes avec des univers très personnels, expérimentant beaucoup (SOLEFALD, DODHEIMSGARD, ULVER, VED BUENS ENDE, DARKSPACE, CARNIVAL IN COAL, DEATHSPELL OMEGA, TRAUMATIC VOYAGE, MENACE RUINES, MAYHEM…). Même si THE PROCESSUS n'est pas un groupe Metal (il n'y a pas de guitare), c'est le genre musical qui m'influence le plus, pour sa folie, ses atmosphères, et me touche le plus. Le Breakcore (VENETIAN SNARES, SQUARE PUSHER...) m'influence pour tout ce qui est déstructuration. Le Krautrock et l'Ambiant (DESIDERII MARGINIS, SEPHIROTH, SCHLOSS TEGAS, KLAUS SCHULZE…) sont de bonnes sources d'inspirations aussi.
Mes passions ? Eh bien créer. Créer, inventer, explorer, expérimenter dans le plus de domaines artistiques possible (photomontages, illustrations, animation, musique avec mes autres projets), et... la nature. Je suis un gros fan de ciné (Cronenberg, Tarkovski, Kubrick, Hanneke, Jarmush, Miyazaki, Gilliam, Laugier, ...), de peinture (Beksinski, Jérôme Bosch, Gric, tous les grands maitres du clair obscur...) ça ne s'en ressent peut être pas de façon très marquée dans ma musique, mais je sample beaucoup de films, que ça soit pour les dialogues, la tonalité d'une voix, pour l'univers sonore…
MI. T’es-tu déjà produit en concert ? Si oui, comment se comporte le public et si non, comptes-tu le faire un jour ?
Al Slumber. Non, je ne me suis jamais produit en concert, et ça n'arrivera jamais. Je vois mal comment mettre en place une version live pertinente de ma musique. Impossible de faire appel à des musiciens de session avec le genre de musique que je pratique. Et bidouiller mes morceaux en live en étant seul sur scène derrière un écran d'ordi, en hurlant dans un micro par intermittence... Pas terrible niveau présence scénique...
MI. Y’a-t-il un sujet qui n’a pas été abordé et sur lequel tu aimerais t’exprimer ?
Al Slumber. A priori non. A part dire que si vous aimez découvrir des projets musicaux extrêmes qui sortent des normes, si vous êtes fan de musique barrée et expérimentale, jetez une oreille à la musique de THE PROCESSUS. Vous pouvez aussi regarder la partie visuelle de mon travail à cette adresse: http://www.myspace.com/alslumber
MI. Bien, nous arrivons au terme de cette interview. Je te remercie pour le temps que tu nous as accordé et pour la pertinence de tes réponses. Je souhaite bon vent à THE PROCESSUS et que tu continues à faire vivre ta passion. C’est là l’essentiel. Les mots de la fin te reviennent.
Al Slumber. Merci à toi pour ces questions qui permettent de mieux cerner l'entité THE PROCESSUS. Vive la musique extrême innovante, affranchie des règles sclérosantes, vive les groupes qui vont vivre cette scène, qui créent avec leurs tripes et leur âme, sans se soucier de savoir s'ils vont plaire où pas, qui créent pour eux, par passion de la musique, et pas d'autre chose. Expérimentez, innovez !
Ajouté : Jeudi 18 Mars 2010 Intervieweur : Stef. Lien en relation: The Processus Website Hits: 18129
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