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MISERY INDEX (usa) - Nouveau Casino à Paris (26/01/09)

Groupes Présents au concert : AEONS, SEE YOU NEXT TUESDAY, HATE ETERNAL, MISERY INDEX
Date du Concert : lundi 26 janvier 2009
Lieu du Concert : Le Nouveau Casino (Paris, France)

Rien ne vaut l'étude de terrain, l'expérimentation du réel, la confrontation directe avec son objet d'étude. Bien sûr, l'immersion totale peut comporter des risques énormes pour celui qui s'y adonne sans une préparation physique et intellectuelle obéissant à une discipline stricte. Le scientifique incomplètement préparé court deux risques antithétiques : Il peut apparaitre d'emblée comme un intrus de par une imperméabilité trop visible au milieu d'étude, perturber ainsi le tissu social et empêcher l'observation.
A l'opposé apparaît le péril de l'immersion totale. Une trop grande empathie de l'observateur envers le sujet observé peut opérer un transfert des valeurs culturelles du second vers le premier. Une adoption, une absorption de l'observateur dans le tissu social étudié.
C'est pourquoi toute étude ethnologique de terrain devra être précédée d'une préparation permettant à la fois une compréhension profonde des us et coutumes de l'indigène et l'élaboration d'un rempart mental protégeant l'identité du chercheur d'une empathie excessive.

« Carnets de voyage de Léon Flubard, explorateur et anthropologue de son état. »

C'est armé de toutes ces notions que je sautais du train alors qu'il continuait sa route vers le nord ouest. Un rapide coup d'œil à ma boussole et j'entamais le périple qui devait m'amener au lieu dit du « Nouveau Casino » où s'organisait ce 26 février 2009 au soir un rite regroupant des tribus de metalleux, la population que vise notre étude.
J'identifiais vite certains individus, reconnaissables à leurs parures de cuir, leurs longs cheveux et les motifs nombreux dont ils ornent leurs vêtements. Je m'étais moi-même vêtu semblablement afin de passer inaperçu.
Le groupe éparse est exclusivement composé de jeunes mâles. Il semble régner entre eux, malgré une allure rude, une relation de camaraderie. Je pénètre le groupe, arborant le visage martial et buté de rigueur. Alors que je tente de franchir la porte pour pénétrer dans le temple, on me hèle, on me saisit par l'épaule et me barre la route. Un instant je cru être démasqué et craignais déjà les pires sévices que ces peuplades barbares infligent aux intrus. Tremblant, je me retourne, manquant de m'écrouler sur mes jambes de coton, vers un bras puissant désignant un écriteau sur le mur. J'y déchiffre des informations précieuses : les dieux du ciel ayant déchainé leur fureur sur le sud ouest du pays, les grands chamanes attendus ce soir auront du retard. La première cérémonie, prévue peu après le couchant (18h30) n'aura lieu qu'à l'apparition de la constellation du bélier, vers 21h. Cet imprévu est l'occasion d'un premier contact.
J'ai assez rapidement la confirmation du caractère rieur et joueur du metalleux en échangeant avec 3 individus. Les lançant sur le terrain des blagues racistes, comme le conseillent mes illustres prédécesseurs, je découvre qu'ils s'y révèlent excellents, comme d'ailleurs dans un registre plus vulgaire ou machiste. L'hilarité et de bonnes claques sur les cuisses nous maintiennent en vie malgré le très rude climat. Les degrés s'égrènent comme les minutes, lentement mais surement.
20h50, le gardien du temple nous fait rentrer, un par un. Nous suivons un long couloir avant de pénétrer dans la pièce du culte, sombre et exiguë.
L'objet de ce rassemblement n'a pas livré tous ses secrets et je ne suis pas sûr de l'avoir saisi pleinement. Il semblait néanmoins que les groupes d'individus se succédant sur l'estrade tentaient de gagner le soutien des hordes à leurs pieds. Cérémonie à la croisée du religieux et du politique. Slogans repris en cœur, sermons entonnés de concert.
AEONS était la branche la plus sombre du culte métallique en présence ce soir. Entièrement vêtus de noir, ses membres arboraient des signes de soumission au prince des ténèbres. Hiératique, puissant, le regard maléfique, leur porte parole scande des paroles que je devine peu fraternelles alors qu'un percussionniste frappe violemment ses futs, à une vitesse prouvant son inhumanité. Des stridences saccadées et agressives semblent produites par des instruments à cordes démunis de caisses de résonance. Le son, inaudible à ses débuts, se clarifie un peu mais ne parvient pas à rendre intelligible le propos. Efficaces. Brutaux. Massifs. Leur technique de recrutement s'inspirant du lavage de cerveau, dans une variante sonore, semble avoir en partie rempli son office. Les communiants, hagards, promènent leurs regards vides autour d'eux. Tout indice de lucidité ayant quitté leur visage.

Viennent ensuite SEE YOU NEXT TUESDAY qui, plutôt que de remettre à demain ce qui peut se faire en ce lundi infligent un sacré électrochoc musical aux dévots abasourdis. Ceux d'entre eux dont le système nerveux a été réduit en cendres restent béats, un sourire abruti aux lèvres. La minorité ayant survécu aux assauts d'AEONS est prise de mouvements inconsidérés, répondant à des stimuli incompréhensibles. Néanmoins, les comportements les plus hystériques sont sur scène. Les quatre musiciens dont la peau est pigmentée de couleurs vives, les lobes distendus par des objets sphériques, montrent tous les symptômes de l'épilepsie. Rugissant, crachant, sautant en tous sens la bave aux lèvres, poussant des cris déchirants de douleur. J'étais alors tiraillé moralement : mon statut de chercheur m'imposait l'observation passive alors que mes principes de citoyen m'ordonnaient d'agir, de venir en aide à ces quatre êtres visiblement au plus mal. Mon professionnalisme l'emporta et je tentais d'éteindre ma culpabilité en observant comment la non assistance est un comportement répandu dans l'enceinte du temple. Un comportement normal. Je fus moi même pris de violents tics que je ne parvins pas à refréner. Le caractère totalement déstructuré de la crise collective ayant lieu sur scène m'empêchait pourtant d'y sombrer tout à fait, incapable d'en anticiper les soubresauts.
Alors que les quatre malades se libèrent du mal qui les étreints presque simultanément je comprends que plutôt que d'épilepsie, c'est à une crise de possession que je viens d'assister et me rappelle alors le merveilleux documentaire de Jean Rouch « Les maitres fous », présentant le même genre de scène au Niger, dans les années 70.
Il est intéressant de voir comment la mondialisation a aussi pour conséquences de voir des pratiques occultes migrer du cœur du continent noir jusque dans des communautés occidentales à dominante blanche. Le sacré suivant le même itinéraire que les pratiques de modification corporelles (Tatouages, piercings, scarifications, élargissement des lobes, des lèvres...) qui ont déjà largement contaminé ces territoires.
La transe collective, phénomène rare et fragile, n'aura malheureusement pas éclos lors de la cérémonie malgré la dévotion totale de ses initiateurs.

Les grands prêtres de la haine éternelle, HATE ETERNAL, s'emparent ensuite de la scène. Très respecté pour s'être initié auprès des grands MOBID ANGEL, son meneur, Erik Rutan, est l'auteur de 4 œuvres de référence de la liturgie métallique. Mon étude n'a pas pu s'affranchir de l'analyse approfondie de ces documents et c'est aussi en admirateur que je viens ce soir voir le grand homme. Si certains metalleux ont su se rendre célèbres par leurs frasques, leurs crimes, leur égo surdimensionné, celui ci a gagné le respect de ses fidèles par une dévotion sans faille et un travail rigoureux.
C'est avec étonnement que je vois donc cet archevêque du DEATH METAL, géant chevelu, installant lui même son matériel, avec simplicité. Courtois avec tous les techniciens qui s'affairent avec lui. A ses cotés, les trois prêtres qui assistent son office prouvent son ouverture d'esprit : un repris de justice au crâne rasé, un informaticien à lunette grassouillet arborant une coupe en brosse et un frêle garçon de cœur derrière les futs. Le prêche sera court (30 minutes) et intense. Bien que j'en connaisse les paroles et la mélodie par cœur, ce sont seulement trois refrains que j'identifie du fait de la qualité exécrable du son. La batterie est très claire mais trop forte, les cordes inaudibles.
Déçu des imperfections techniques empêchant une parfaite communion j'entame tout de même, avec abnégation, les mouvements rituels de ce type de cérémonie en décrivant de larges cercles de la tête. L'ivresse me gagne. Les fidèles qui, j'en suis sur, peinent comme moi à identifier les morceaux, sont transportés de joie en entonnant en cœur « Behold Judas !». Le berger conduit son troupeau, remuant mais conquis par son imposante stature. Convaincu, sans en avoir une preuve audible, de son excellence musicale.

Les corps sont fourbus, la fièvre a gagné un grand nombre de fidèles rassemblés ce soir. Les âmes semblent avoir quitté les corps pour se mêler anarchiquement au faîte du temple dans une orgie invisible.

MISERY INDEX se saisit de ces enveloppes corporelles vides d'humanité, de ces tas de viande fumante pour finir de les briser dans un fracas métallique. L'homme qui prêche violemment dans le micro arbore sur son torse l'icône d'Amnesty International. Je ne peux expliquer la dichotomie profonde entre ce symbole de respect des droits fondamentaux et la brutalité extrême de la prestation que comme une manière d'évoquer la souffrance des milliers d'individus que tente chaque jour de sauver l'ONG. L'expérimentation de la douleur, de la torture, semble la base de la stratégie de conversion de MISERY INDEX. Ses quatre membres déploient une énergie impressionnante pour dissoudre toute distanciation entre le metalleux et la minorité souffrante afin de créer l'empathie totale du public avec la victime dont ils nous font revivre l'affliction.
Sous l'intense assaut sonore, les captifs de la fosse pris dans les griffes de MISERY INDEX se débattent violemment. Certains, déments, agitent en tous sens leurs têtes, comme soumis à une décharge régulière. Les corps démembrés s'entrechoquent dans la geôle, déchirés par un puissant ressac. Cette manipulation profonde du public doit sa réussite à l'intelligente rhétorique du groupe mêlant un vocabulaire HARDCORE à des thèmes DEATH METAL et à un son qui, s'il est loin d'être excellent, surpasse largement en clarté ses prédécesseurs.

N'ayant pu résister à la force de possession du culte métallique, c'est fortement contusionné que je quittais la transe qui m'avait alors entrainée pendant le dernier volet de cette cérémonie. La tête pendante, la nuque brisée par l'intense mouvement de rotation qui s'était emparé de mon crane, les cordes vocales à vif, brulées par les cris rauques qui s'étaient échappés de ma gorge, je m'en retournais vers la civilisation. Le crane hanté d'un sifflement qui ne me quittera désormais plus…


Ajouté :  Jeudi 12 Février 2009
Live Reporteur :  Moloch
Score :
Lien en relation:  Misery Index Website
Hits: 27960
  
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